L'AUTRE RIVE....
Il est des jours que l’on ressent intimement, si près de soi, au terme de ces nuits dolentes et interminables. Puis viennent ces épisodes de doutes appendus à l’autre rive, que l'on quête à la lueur vacillante d’un dictamen angoissant, lancinant. J'arpente ces jours emportés par les éléments séditieux, dans la solitude et la souffrance, la colère et l’indifférence du monde, où seuls comptent le silence de la mer, la vérité des flots, la volonté du vent et des grands espaces, toute la solennité d'une nature affranchie et rebelle.
Et que m’importe de risquer la vie, de jouer, de mimer la mort là où la mer vibre, exulte et se gonfle des voiles blanches de la liberté et de la pureté, de la vérité en toute son absoluité naturelle. Lorsque la tempête proclame avec éloquence la partition originelle de l'existence et du réel, le ressentiement s'étiole. Je sais qu'elle pleure aussi tant de voyages offerts à l'humanité, accordés envers et contre toutes dérives, souillés hélas ! du sang de la Diversité assassinée et de la trahison.
La mer et les vents ont poussé leurs vagues, les accompagnant vers les rives de la fraternité et de la terre des autres hommes ; elle a dévoilé aux Aventuriers de l'inconnaissance le sens et le goût perpétuels de l'inconnu ... En Elle, ils devaient puiser les forces éternelles d'un retour sanctifié et digne, de la renaissance des jours, de la régénerescence du temps fécond et du partage ... Vivre enfin le rêve palingénésique de la Mère-Nature !
Et je croise au large, entre deux îles, entre deux êtres, loin de mon rivage natal, près de la rive promise, oublieux des miens et de moi-même, en quête de délivrance et d'harmonie. En ce matin de fort coup de vent, je m’engage avec l’assurance d’un sursis. J'embrasse d'un seul regard toute la vénusté que la mer déchaînée accorde aux vagues et aux brisants dans ses plus belles esquisses. Et si les vents ne sont pas bleus, s’ils ont oublié l’innocence et la douceur de l’été dans l’opaque grisaille de la tristesse, des nuées tonnantes du gros temps, s’ils recouvrent à cette heure la mélancolie de décembre dans les lueurs alenties du soleil levant, des ciels diluviés et froids, je me retrouve dans le berceau de chaque vague percevant la respiration ample et profonde de la mer, avant la vie, après la mort. Presque confiant, emmené dans le lit d’un souffle divin, je ne sais plus si je crains plus le tumulte de l’eau bourbeuse que je ne méprise l’appréhension de disparaître au fond de l’inutile, de l’indolente résignation à forcer une existence abhorrée, courant malgré moi auprès du monde civilisé, trop humain.
Loin de la rêverie, je partage ma route vers l’autre rive avec pour seuls desseins ces tourments insignifiants et toute l’impuissance de la conscience contrite et de la déréliction. Aujourd’hui, il n’y a plus d’oiseaux ni d’ailes immaculées pour souligner les yeux du large, la paupière des vagues et l'iris des récifs. je ne croiserai pas de dauphin aux prunelles bistres, brillantes d'amitié sur la mer noire et esseulée. Chaque lame y chute obscurément, endeuillée, pesante et grosse comme toutes les larmes que le monde sanglote et arrache à l'enfant du siècle. Et à chaque seconde que l’homme essuie, balaie, on ne sait encore pourquoi, d’un revers de métal blessant, d’une pluie d’atomes défaits et cupidement modifiés, une âme s'en retourne vers l'océan cruel et l'indifférence, l'océan des foules martyrisées…
Mais devant tant de beautés, l’immensité m’est familière, presque attachante. La côte se vêt d'étoffes nocéales aux sacres de la mer et des ciels si vastes. Le renouveau, un autre départ, une espérance au bout de la complainte ailée et vaporeuse des vagues accompagnent mes incessantes bordées solitaires.
Sur l’esquif vélivole qui me mène nulle part et si loin, je ne suis qu’un point, un souvenir, une dérisoire aventure, un caprice dans l’insouciance et l’enfance des flots… Je n’ai plus de frontières dans le regard, je tranche les barbelés à la prison du paraître, je n'arbore pas de laurier au front, je n’ai plus d 'âge, j'aime ce labyrinthe loyal, je suis de ce ballet des ondes, uni aux gouttes d’eau et aux vagues joueuses qui me portent, là inoffensives, ailleurs, meurtrières. Il ne m’appartient pas d’en décider, elles ont droit de vie et de trépas sur quiconque s’y aventure et c’est à la mer que je parle et me confie, c’est avec elle que je parviens aisément à tous nos choix ; les siens, les miens, ceux aussi de cet être étrange qui m'habite et qui m'obsède, m'interpelle comme une âme soeur, de l'au-delà.
Mes résolutions sont ses souhaits, je la parcours à en perdre haleine, m’enivrant de l’écume, des sirènes disparues, du souvenir antique des flots parcourus avant moi, de l’évocation fantastique des Néréides et des Naïades qui peuplent et animent l’ellipse magique en chaque vague, qui rayonnent en toute vague à renaître et qui se prêtent aux charmes de l’éternelle féminité.
A l’horizon, là où se tend la limite des désirs sensés, les pointes et les caps racontent l’univers des choses désunies. C'est là aussi qu'ils les nouent en même temps pour en élever avec munificence et majesté tous les mystères et la grandeur de l'océan.
J’habite alors l’esprit de l’eau pulvérisée, avalancheuse, neigeuse, massive et légère qui peint et mime le vent odorant, impalpable. Cette eau qui porte l'empreinte des bourrasques contre la roche polie, submergée, immobile et figée, presque contemplative. Le temps défile, en cadence, avec les lames vertigineuses qui déferlent. Il entonne l’hiver des cœurs submergés. Et au fil des voyages, il étend ses longs rouleaux, grave sur le parchemin azur l'instant et la métaphore plaintifs ; un immense linceul blanc dévoile l'éternité, comble un rêve dans le jour sacré des vents.
L'autre rive est un ailleurs, au large, au-delà des horizons fugaces, du cap d'une vie, sous le vent, vers l'inconnu. Je l'imagine et je la vois. Ensemble, nous devenons un périple, le beau mirage d'un autre temps.
Baigné et béni par les clartés de l'embrun, je croise dans un univers ouaté où de vagues souvenirs pyramident à la limite du réel. N'éclairent-ils pas avec plus de vigueur un quotidien de cruels faux pas, de blasphèmes et de parjures dressés contre l'harmonie immuable des mondes créés, dans l'indifférence et le mutisme convenus de la laideur ?
2 ème Ecriture le 29 Mai 2011
3 ème Ecriture le 29.04.2012