LA MER ET LA PROSE...
Mer
aux langues d'écume pleines de présages
roule
sur le linceul
jusqu'à ce que le soleil de nouveau sème
la douleur lancinante de la seconde.
NELLY SACHS , Extaits, Exode et Métamorphose
Les vagues prisonnières ne respirent pas facilement sous un toit. Elles se décolorent, elles perdent leur chevelure d'écume et jusqu'à cette façon de ployer le torse.
Mais malheur à qui fut assez adroit pour capturer une jeune vague, non point assez vigilant pour l'endormir.
Un coquillage oublié dans la maison, quelque forme de vaisseau, lui rend l'instinct de sa race sauvage et voici qu'elle se gonfle, élève sa fureur et se précipite, emportant tout à la mer, où elle recommence une vie d'une grande beauté."
Géo Norgé,
Poésies 1923-1988, Poésie/Gallimard n°237, 1990.
LA CONQUE
« Passants, je me souviens du crépuscule vert
Où glissent lentement les ombres sous-marines,
Où les algues de jade au calice entr 'ouvert
Étreignent de leurs bras fluides les ruines
Des vaisseaux autrefois pesants d'ivoire et d'or.
Je me souviens du soir où la nacre s'irise,
Où dorment les anneaux, étincelants encor,
Que donnaient à la mer ses époux de Venise.
Passants, je me souviens du mystique travail
Des vivants jardins qui recèlent, virginales,
L'anémone et la mousse et la fleur du corail
Dont l'effort des remous avive les pétales,
Rose animale et rouge éclose dans la nuit.
Je me souviens d'avoir bu l'odeur de la brume
Et d'avoir contemplé le sillage qui fuit
En laissant sur les flots une neige d'écume.
Je me souviens d'avoir vu, sur l'azur changeant
Des vagues, refleurir les astres du phosphore.
Mon lit d'amour était le doux sable d'argent.
Je me souviens d'avoir frôlé le madrépore
En ses palais, d'avoir vu les lambeaux empreints
De sel, qui furent des bannières déployées,
D'avoir pleuré les yeux et les cheveux éteints
Et les membres meurtris des Amantes noyées...
J'ai connu les frissons de leur baiser amer.
Dans mon cœur chante encor la musique illusoire
De l'Océan. - Je garde en ma frêle mémoire
Le murmure et l'haleine et l'âme de la mer. »
RENEE VIVIEN
Cherche en toi la Mer,
aime-la.
A la nommer, ton Verbe
ressuscitera.
Trouve en toi la femme
consume-la.
A la chanter ton Verbe
Ressuscitera.
Ne crains pas la Nuit.
Peuple-la.
A l'abjurer, ton verbe
ressuscitera.
Vis bien ta mort.
Habille-la de mers
de femmes et de nuits.
Ton verbe alors te ressuscitera..
Yves Heurté
ET LA MER DISAIT
La mer roulait ses vagues, l'amour creusait son gouffre
Et la mer disait:
On ne peut pas t'aimer puisque tu ne veux pas aimer,
chaque seconde te fera chuter plus encore,
le silence des autres te tuera
car tu n'écoutes pas...
Et la mer disait:
Tu demandes trop:
tu n'auras que le vent dans ses cheveux
la trace de son corps dans le pli des draps
l'odeur de son cou sur tes joues
le froid de ses mains dans les tiennes...
Et la mer disait:
Ne reviens pas en arrière,
tourne en rond dans ton désert,
je suis haute, je suis pleine,
je taperai sur la digue jusqu'à la nuit des temps...
Et la mer disait:
N'aie pas peur,
ta vie n'est même plus à perdre...
[...]
Et la mer disait:
Tu alignes les mots sans savoir ce qu'ils mentent
tu joues avec eux comme les gens avec toi,
tu crèveras de ne te reconnaître nulle part
dans tout tes miroirs...
Et elle disait:
Ne te cherche pas en moi,
tu ne trouveras que...
JEAN-CLAUDE BOURDAIS