L' INTRANQUILITE, FERNANDO PESSOA, VIRGINIE HERRIOT....
" ...C'est alors, sur la plage bruissant seulement de la rumeur des vagues ou du vent, passant très haut dans le ciel, tel un avion irréel, que je m'abandonnais à un nouveau genre de rêves - des choses informes et vaporeuses, merveilles de l'impression profonde, sans images et sans émotions, pures à l'égal du ciel et de l'eau, et résonnant comme les volutes déployées de la mer, se dressant depuis les profondeurs de quelque grande vérité; mer d'un bleu tremblotant, oblique dans les lointains, qui verdissait en approchant du bord et montrait en transparence d'autres tons d'un vert glauque; enfin, après avoir brisé en sifflant ses mille bras défaits, pour les désenrouler en sable bruni et en bave d'écume- elle réunissait alors en son sein les ressacs, les retours à la liberté des origines, les nostalgies du divin et les souvenirs( tels que celui-ci, informe et vécu sans douleur, d'un état antérieur, ou simplement heureux, pour une raison ou une autre) - tout un corps de nostalgie avec une âme d'écume, et puis le repos, la mort, ce tout ou ce rien qui encercle, vaste océan, l'île de naufragés qu'est la vie ..."
"... Entendre le clapotis de l'eau le long de la coque, être balancée et comme posée dans un grand berceau où l'eau vous entoure et glisse en chuchotant à votre oreille, tout bas, une belle histoire fraîche et rieuse.
Se sentir distante et lointaine, parce que, posée sur la mer, vous n'avez plus rien à faire sur la terre cependant proche.
L'eau mouvante vous entoure et vous protège, vous êtes à l'abri des êtres et des chagrins.
Ne plus entendre de voix humaines, ne plus voir de larmes dans les yeux, ne plus entendre jamais rire.
Ne plus voir, ne plus sentir les vies et leurs misères. Ne plus vouloir la vie trépidante des rues, trop de bruit, trop de lâchetés, et fuir sur la mer.
Appareiller et commencer un long voyage, avec le désir qu'il ne se terminera pas. J'ai fui, je suis à bord, je navigue...
Les heures s'écoulent, les jours passent les uns après les autres.
Oh! continuer, ne plus toucher terre!
Mais la terre est en vue, et il faut des vivres pour l'équipage..."
Virginie HERRIOT ( Une âme à la mer )