NAISSANCE D' UN PHARE...
Marin, retrace pour Corsica...Go56, avec Paul Reboux, l'histoire tragique d'un Phare maudit. Pour retracer les phases de sa construction, le romancier transpose, et il s'en cache à peine, l'histoire d'Ar-Men, le Phare élevé à l'extrémité Ouest de la Chaussée de Sein.
Ce récit vous sera reporté en trois parties, il est assez long et émouvant.
"AR MEN" en breton signifie la Pierre, c’est le nom donné à ce rocher de la chaussée de Sein. Bien d’autres phares avaient été construits avant 1870 mais les bâtisseurs d’Ar Men (tour la plus à l’ouest du continent européen, située à 7 milles environ de l’île de Sein) seront toujours considérés comme les héros de cette histoire.
Coordonnées géographiques : 48° 03’,066 N - 04° 59’,781 W
Hauteur totale : 37.00 m (32.30 mètres au dessus du niveau de la mer)
Feu : blanc à 3 éclats (20 secondes) produit par une lampe halogène de 250 W.
Distance focale : 0.25, portée : 23.5 Milles
Image Internet
Choisir d'habiter près d'une lampe, c'est tout de même choisir la couleur de sa vie
Jean-Pierre Abraham
(écrivain, marin, gardien du phare d'Ar-Men)
Les travaux commencèrent au mois de Mai 1867.
Toute construction dont le soubassement est immergé a quelque chose de surprenant. On n'imagine pas qu'il soit possible d'établir de la maçonnerie sur un sol baigné par l'eau mobile et dissolvante.
Bien que l'emplacement choisi fût, à mer basse, découvert, les travaux préparatoires s'y effectuaient avec lenteur.
On ne saurait en être surpris. Le Phare isolé d'Ar Men, près de Sein, coûta quelques années plus tard, autant de peine, de temps et d'argent que le Roc'h an Dioul. Quand on compare les rapports d'ingénieurs, les statistiques, les procès- verbaux, on les trouve, sauf quelques détails, identiques.
Durant toute la première année, c'est à dire de Mai à Septembre, des bateaux pêcheurs du Conquet, d'Ouessant et de Molêne, loués avec leurs équipages, accomplirent le voyage vingt deux fois. Neuf fois seulement on put aborder, soit que le courant eût retardé l'arrivée jusqu'au moment où le flot baignait la roche, soit qu'un grain subit e^t mis la flottille en déroute.
De ces embarcations descendaient des équipes munies de grosses aiguilles d'acier et de masses semblables à celles de tailleurs de pierres. Chaque homme, pourvu d'une ceinture de sauvetage, sautait sur le gneiss glissant, s'y allongeait à plat ventre, et commençait à creuser les trous destinés à recevoir les bases de l'armature métallique et les premiers organeaux.
Mais les " tacs! tacs! tacs! " ne tardait pas à être interrompus par un " plouf! " retentissant ... Une lame déferlait, couvrant tout. Lorsque sa masse affaissée laissait reparaître l'écueil, on apercevait, parmi les ruissellements torrentiels, des malheureux cramponnés tant bien que mal, agrippés les uns aux autres, la main engagée dans une excavation ou nouée à quelques aspérité.
Parfois l'un d'eux manquait. Ses camarades jetaient un cri d'avertissement. Et tandis que les " tacs! tacs! tacs! " reprenaient, une barque s'en allait recueillir là- bas celui que les remous roulaient comme un bouchon.
Un seul accident marqua cette première campagne. Pour avoir attaché trop bas sa ceinture de liège, un pêcheur, enlevé par une vague, surnagea, les jambes en l'air. De loin on voyait l'agitation frénétique des pieds. Puis ils devinrent immobiles. Quand une embarcation, après de longs efforts, eut rejoint le pauvre homme emporté par le courant jusqu'à plus de six cents mètres, on constata que le crâne et le visage, heurtés contre quelques basses, n'étaient plus qu'une vaste blessure, une affreuse chose sanglante où la bouche aux dents brisées formait un trou noir ..."
A SUIVRE , Paul REBOUX, Le Phare