PENSEES D' EAU AVEC P. CLAUDEL...
Le long du Bevincu, Nebbiu
Lecteur, suspends ton souffle de peur qu'une haleine profane détruise la surface magique.
Le vent de la mer a soufflé, en une seconde la page étendue devant toi fourmille d'une innombrable écriture.
Une pensée et sa réflexion.
Une branche et son reflet , cette branche particulière avec ses feuilles au milieu des autres feuilles.
Et tantôt le vent l'agite au-dessus de l'eau en extase, patiente, et toujours recommençant le même signe, étudiant lentement la réponse.
Et tantôt c'est elle qui reste immobile et c'est l'eau paresseusement qui s'émeut et désagrège le reflet.
Répondant à ce choc inconnu ailleurs là-bas.
Le pêcheur attrape les poissons avec ce panier profondément enfoui au-dessous des vagues.
Le chasseur avec cet invisible lac entre deux branches attrape les petits oiseaux.
Et moi, dit le jardinier, pour attraper la lune et les étoiles il me suffit d'un peu d'eau, _ et les cerisiers en fleur et les érables en feu, il me suffit de ce ruban d'eau que je déroule.
Et moi, dit le poète, pour attraper les images et les idées il me suffit de cet appât de papier blanc, les dieux n'y passeront point sans y laisser leurs traces comme les oiseaux sur la neige.
Pour tenter les pas de l'Impératrice-de-la Mer il me suffit de ce tapis de papier que je déroule, pour faire descendre l'Empereur-du-Ciel il me suffit de ce rayon de lune, il me suffit de cet escalier de papier blanc.
Paul CLAUDEL