LA SUITE DES MONTAGNES....
J'ai peur pour la Terre qui me loge et parce qu'elle est en danger je crains pour les hommes... La Terre de Corse se donne, aussi profonde que ses montagnes, que la mer, que ses cieux ; elle forge le lien indéfectible des hommes avec leurs racines, le Fait Insulaire .
Puisse-t-il être digne de nos antiques splendeurs !
Je suis passé par le sommet des monts, au-dessus de la mer. La tour de guet aux bouches béantes regarde la suite des montagnes et le large. Elle jette au temps des Razzias un regard épouvanté mais défend encore la terre. Les cris d'alarme retentissent comme des oraisons funèbres. Seuls les feux ne louent plus la solidaire défense des îliens face aux barbares. Les tours sont légions qui rappellent des réminiscences d'Îles en danger; disparaîtront-elles à jamais ?
Mais "L'ennemi" est partout! Sur mer, sur terre et dans l'azur, il se nomme chaleurs torrides, incendies, sécheresses, déforestations, surpopulations, invasions, extensions anarchiques, bétons, énergies sales ... Les ports s'engorgent, les ports dégorgent et chaque artère de la plaine noie, dans la multitude des blocs d'acier surchauffés, les versants et les cimes d'une chassie gazeuse immonde.
Les monts finissent dans la ville gavée leurs funèbres cortèges!
Je regarde l'horizon, une bande marron le ceinture, l'enserre, diluant la blancheur des brumes de chaleur dans l'opacité confondue des bleus du ciel et de la mer. La brise ne s'est pas levée, repoussée et vaincue par l'haleine torride de l'été moderne! Je me cache et me protège des rayons mordants du soleil . Le ciel comme la mer s'ignorent, ils ne se reconnaissent plus tandis que la terre abdique et renonce de toutes parts...
En amont, elle n'est plus qu'un tapis de cendres, un morceau de charbon de bois. La basse vallée a brûlée, le vignoble et les sillons ocres, bistres, étouffent encore laissant échapper de lourdes vapeurs âcres que des îlots de fraîcheurs nocturnes retiennent encore dans les bas-fonds sordides.
La route épuisée serpente entre les doigts crispés des vignes calcinées griffant le ciel. J'arpente la prison d'argent et la mer de la Tranquillité, les incendiaires ont " décroissé " la lune.
En contre-bas, le grand large n'est qu'un boulevard, un périphérique et la baie immense devient une zone exiguëe de stationnement pour des navires de tous tonnages. On l'a nommé le Parc Marin ! On y circule à grande vitesse comme si le temps de l'eau basculait aussi au rythme indécent de la vapeur et de l'or noir.
Alors je regarde cette barque posée sur l'autel vaincu de la mer, je la vois danser avec le flot et l'azur. Elle tangue puis roule quand monte le filet chargé de poissons, dès l'aurore, pour ces pêcheurs humbles et fidèles, artisans d'autrefois .
L'antique rivière ne coule plus, c'est la mer qui en meuble le lit, le fragile décours comme pour la soigner, la panser. Je ne perçois plus l'échange incessant que se faisaient de la terre la mer et le ciel. Les pluies étaient divines, les nuages disaient l'oracle ... Et la frondaison des cieux et des monts abreuvaient un merveilleux jardin.
Autour, on continue de blesser les arbres et l'ancestral Genévrier de Phénicie. Le cordon littoral, le rivage lacustre comblent dans l'indifférence notoire les fantasmes conquérants et faciles de quelques rodéos mécaniques fantasques à la puissance Quatre.
Cette barque est un souvenir de pêche qui flotte fantomatique dans une nature exsangue s'altérant peu à peu d'artifices dévastateurs, infertiles comme le bitume, le mazout et l'engrais.
Je la sais qui des siècles durant a consacré la raison d'être de la mer et du ciel aux noces des vents et des brises saupoudrant les saisons et les coutumes des grands espaces. En d'autres contrées, la voile latine et la pagaie continuent de la marier aux clartés des récifs, comme d'incessantes invocations, d'ultimes suppliques.
La démesure métallique heurte la crique, l'ancre balafre les fonds déchirés et abandonnés. Tandis que les machines assurent l'énergie du complexe flottant, la coque et les nombreux évents recrachent et vomissent leurs rejets de caprices, des relents de vécus éphémères et superfétatoires.
J'ai nagé, aussi longtemps que j'ai pu, et je n'ai pas crié!
Mais la désolation des fonds si bleus, aussi verts que translucides est navrante, si trompeuse ...
Où sont passés ces myriades de poissons des sables ? on les disaient marbrés, hôtes des herbiers, ces coquillages et ces gastéropodes fascinants, ces bancs de prédateurs matinaux, ces espèces paisibles venues brouter la parure ondulantes des rochers, ces bivalves splendides qui fleurissaient les fonds, ces poissons audacieux et voyageurs qui étonnaient les profondeurs et le lit des mers? Les posidonies se ruent sur la grève, protégeant dans un dernier sursaut l'étreinte des mondes marin. Mais on n'en veut pas, on les entassent derrière la dune, avec les détritus ensevelis ...!
Faut-il encore qu'on les ait parqués pour seulement les nommer, en mesurer la disparition et les traquer aux lisières de l'eau emprisonnée?
Où sont ces fonds aux transparences hallucinantes qui nous voyaient nager si bas que nous semblions vivre les pérégrinations de Gulliver !
L'eau court brûlante sur mon dos, je ne ressens plus la délicieuse fraîcheur des flots qui faisait de chaque dune une promesse de désert, une caresse d'oasis et de cascade.
Le ciel absorbe péniblement avec la marche du soleil cette folie au zénith du progrès, des modernités accablantes; il se couvre des masques grimaçants, inquiétants de la terre souffrante. Une terre d'îles qui brûlent et qui exhalent en d'indicibles volutes viciées ses premières bouffées, ses spasmes d'agonies.
Alors je cours sur le sable à perdre haleine, je m'élance sur les vagues, au son cristallin de la harpe, je rattrape les gouttes d'eau fécondes de mon enfance pour retrouver la mer et le ciel, pour pleurer abondamment le destin des contes meurtris qui les ont quittés.
La tour a traversé les siècles; les siècles ont déchu les tours! elle a défié les boulets et les bourrasques, repoussé les agressions illégitimes venues d'ailleurs. Elle ne peut plus rien maintenant, cernée en ses entrailles béantes, condamnée à dépérir sans fin
!
2 ème Ecriture le 10 Mai 2011