UN PASSAGE DE PECHEUR D'ISLANDE...
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Avec PIERRE LOTI
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Une légère brise qui s'était levée, piquante à respirer, commençait à marbrer la surface des eaux mortes; elle traçait sur le luisant miroir des dessins d'un bleu vert, qui s'allongeaient en traînées, s'étendaient comme des éventails, ou se ramifiaient en formes de madrépores; cela se faisait très vite avec un bruissement, c'était comme un signe de réveil présageant la fin de cette torpeur immense. Et le ciel, débarassé de son voile, devenait clair; les vapeurs, retombées sur l'horizon, s'y tassaient en amoncellements de ouates grises, formant comme des murailles molles autour de la mer. Les deux glaces sans fin entre lesquelles les pêcheurs étaient _ celle d'en haut et celle d'en bas _ reprenaient leur transparence profonde, comme si on eût essuyé les buées qui les avaient ternies. Le temps changeait, mais d'une façon rapide qui n'était pas bonne...
(...) L'Islande, assez lointaine, était apparue aussi, avec un air de vouloir s'approcher comme eux; elle montrait de plus en plus nettement ses grandes montagnes de pierres nues _ qui n'ont jamais été éclairées que par côté, par en dessous et comme à regret. Elle continuait même par une autre Islande de couleur semblable qui s' accentuait peu à peu _ mais qui était chimèrique, celle-ci, et dont les montagnes plus gigantesques n'étaient qu'une condensation de vapeurs. Et le soleil toujours bas et traînant, incapable de monter au-dessus des choses, se voyait à travers cette illusion d'Île, tellement qu'il paraissait posé devant et c'était pour les yeux un aspect incompréhensible. Il n'avait plus de halo, et son disque rond ayant repris des contours très accusés, il semblait plutôt quelque pauvre planète jaune, mourante, qui se serait arrêtée là indécise, au milieu d'un chaos
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PECHEUR D'ISLANDE
Pages 62/63
Calman-Levy
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