EN MER AVEC L'OISEAU
Le temps était incertain, menaçant. On sentait poindre le grain à la naissance redoutée de ces rues de nuages instables remontant d'Afrique ; l'orage devenait imminent. Les volutes blanches s'enroulaient dans le ciel, butaient et s'amassaient contre les montagnes ou bien filaient à grande vitesse vers le grand sud en bombes déchiquetées. Elles disaient la véhémence des rafales sous le vent de l'Île et les pluies à venir par le Sud-Est, sur l'autre versant.
Puis les oiseaux apparurent. Des canards migraient - j'en dénombrai onze - évoluant au ras de l'eau et des falaises de craies. Ils avaient senti bien avant moi les tourments et les tensions de l'air saturé d'eau, d'électricité statique.
A plusieurs reprises, ils croisèrent ma route, s'appuyant au vent, près des flots ou dans le ciel orangé d'un soleil bas et caché, défiant les zébrures des premiers éclairs. Dans un grondement de tonnerre, le Cap Blanc semblait retourner, comme un interminable et sidéral écho, l'oracle tonnant des cieux futurs.
J'allais me présenter devant les pans, les abrupts du temps fracturé, tentant de décrypter le parchemin déchiré de la terre. Aux balcons prisés de viles bévues, les salissures de béton balafreraient à jamais le littoral et ses donjons éternels ; j'étais ému, pensif, nostalgique de ces antiques beautés aujourd'hui souillées.
!
Chaque instant plonge comme un verdict, vertical, inexorablement. les blocs demeurent, dessinent avec les vagues le pèriple des ères et leurs abîmes, confèrent aux vertiges de la pensée. Un moment, je deviens le passager d'un vaisseau perdu, de ces époques livrées à l'imaginaire. Là, aux pieds du colosse et des sédiments, retentissent les phrases silencieuses de l'univers, intemporelles et qui se perdent en circonvolutions titanesques ; un sillage circonscrit, embrasse d'un seul regard le frêle présent, vacille puis chavire dans l'oubli virginal et sombre d'un songe ouaté.
Je multiplie inlassablement mes échappées vers une limite bien réelle, un gouffre à ciel ouvert qui contiendrait toute la mer ; l'horizon brutal est sans appel, morcelé et accidenté comme l'espoir, l'intervalle. J'arpente alors le défilé des jours battus et vaincus ; la rose parfumée des vents en a ainsi décidé ! j'ose un envol dérisoire mais si lourd de symboles ...
Infime point emporté par le Levant pluvieux de mars, je partage le vol majestueux de cet essaim d'oiseaux. Je les suis du regard, ils toisent la foudre et brassent les nuages. Tout de leur vol participe de la vie, du destin, de la vérité même de la grande migration de l'être libre, de l'ordre naturel animé de nécessité
Ici, la mer et le vent rident, fendent le cœur des pierres ; alors, que dire du visage buriné des marins au terme de la traversée d'une vie de sel et d'embruns, de celui du nomade aux sables d'or cuisants du désert ?
Ils content en silence, ils comblent peut-être le vide et l'absence immenses des grands espaces. Ils n'ont de mots puisés qu'à la source, qu'aux confins du regard cristallin des voyages et des liens, de l'amour éternel
C-G Campagnac
2 Ecriture le 4.09.2011