PUNTA OU MES SOUVENIRS DE TRES GROS
Ne voyez à travers ce récit aucune velléité déplacée de vantardise, de suffisance, de recherche éperdue et toute aussi éphémère, ostentatoire de Niveau, de prétention. Mon métier me file des overdoses d'évaluation, la nausée des compétitions, des confrontations interpersonnelles que je pense stériles dès lors qu'elles opposent l'homme à l'homme et les investissent comme finalités... Certes, je provoque peut-être le hasard, jouant parfois avec le sort, frôlant souvent les fortunes de mer; c'est vrai mais je n'en ai jamais l'intention, je ne l'affiche pas. Je vis un appel, celui du grand bleu et des vastes espaces, du large, l'expression effleurée de la liberté silencieuse et ailée de l'oiseau. Entre prose et pensée, mon âme s'évade loin de l'habitude et de la flanelle des jours choyés au coin du feu!
Non, il ne sera question ici que d'un humble témoignage où l'émotion, la stupéfaction, l'émerveillement et l'étonnement guideront mots et phrases, tâcheront d'être aussi fidèles à mes souvenirs. J'essaierai de demeurer proches des faits, de garder aussi les pieds sur l'eau et de ne pas enflammer mes propos dans on ne saurait quelle grandiloquence infatuée, venue conforter une pléthore de fantasmes inassouvis, sublimés, exaltés.
Loin de ma personne tout cela! allons au plus vrai, au cœur de l'action, suivre le chœur des vagues et du vent. Certes il me faut des mots pour conter mais ceux-là n'ont pas la lourdeur et l'odeur du mensonge facile.
Combien de fois ai-je été solitaire au large de ces rivages sublimes des Côtes Sud-Est et Sud-Ouest de l'Île de Corse ? Disparu derrière des avalanches de mousse si bien que ma compagne me perdait de vue dans les séries les plus grosses. Je ne compte plus ces expériences, ces sorties téméraires et audacieuses dont je ne pouvais plus me passer; mon âme se charge de graver ces épopées, elles courent les ravines de la mémoire et se jettent éperdument en mer, à chaque nouvelle étreinte, inlassablement recommencées.
Et lorsque la mer devenait trop grosse, imprévisible, alors je me contentais de m'approcher, d'écouter et de voir la puissance, la force colossale de la nature, cette nature se passant bien des hommes qui la trahissent.
Certaines fois, le choix de s'évader en mer s'avérait déraisonnable. Le vent dépassait les 100 Km/h en Rafales, je mesurais sur le sables 60 / 65 Nœuds parfois et ma vieille voile éprouvée, réparée d'une surface de 3.2 m2 me paraissait encore une 5.7 m2, tenue un jour de grand frais !!!
Je me suis enfui quelque fois, voulant rejoindre Fenu de a Testa, face à la furie des éléments et des vagues solitaires qui brisaient loin de la côte, imprévisibles et verticales, trop hautes pour être risquées; que le paysage et l'arène étaient beaux!
Mais associés aux vagues et à la forte houle, les éléments se déchaînent, décuplent leurs force. Dans une atmosphère que les nuages et le froid enténèbrent, toutes mes dispositions, mes craintes et la vigilance sont au zénith ... Le jeu, l'émotion, la mort aussi deviennent les données incontournables d'un pacte dont je reste le seul artisan!
Ce qui caractérise la nature des grands espaces où viennent se briser les vagues, dans le grand sud de notre île, semble être cette proximité intime avec le large qui nous submerge et nous transporte. Sur les fonds, les rochers et les larges dalles déclives qui se déploient vers les profondeurs, gardent contre leurs flancs ces tombants caractéristiques de la Mer Méditerranée, comme si les golfes, les baies reprenaient, avec une rigoureuse ubiquité, tel un immense miroir, les dessins et les reliefs de nos montagnes toutes proches.
Alors, quand la Houle nous arrive du Delta de l'Ebre, ou plus au Sud, de Gibraltar, lorsque elle grossit, que la mer s'amplifie, respire et gronde, on découvre ses vagues associées, messagères qui déferlent d'autant plus loin au large que la Tempête souffle lointainement et depuis longtemps.
La mer ne saurait avoir ni concéder de limites, surtout envers les îles. Elle ne pourrait refréner, retenir la puissance emmagasinée avec le vent, sa marche. Elle suit les injonctions des éléments visibles, palpables mais aussi des forces obscures, démesurées, insensées parfois qui l'affolent au point de tuer et de ravager sans discernement.
Ainsi voguent les pensées d'un tout petit marin, brinqueballé sur les flots tempétueux d'une île austère et solitaire l'hiver et dont les surprises n'auraient d'égales que son indicible beauté. Bien des Caps et des pointes rocheuses offrent aux vagues leur dernier orbe, nous ravissent et nous enivre de tout l'encens de la mer que le vent emporte et, il n'est d'autre voyage envoûtant que ceint d'écume et d'embrun, entre souvenir, rêve et réalité, verdict implacable de l'instant et de l'immédiat, sources intarissable d' amour.
Je parcours en effet une épreuve mais je vis aussi un voyage musical au fond des couleurs et de l'essence bleue de l'eau. L'origine n'est plus loin, sapide comme le fruit d'un éternel printemps.
Revenons un moment sur l'onde et la courbe, regardons enfler, onduler, se plisser le ciel sous mes pieds. Quelle euphorie, qu'elle inexplicable sensation me pousse à poursuivre, à me river et à m'ancrer au seuil de la chute, ayant déjà jeté toutes mes certitudes, dominant les fonds fuyants et les roches lumineuses et si proches? La lame est large, épaisse, elle va vite, se cambre, s'élève retenue par la vigueur et le poids du vent glacé. Qu'importe, je serre le flot, gagne encore au vent; il me tarde de voir l'œil fardée et lumineux de celle auprès de qui j'espère et attend la relance, comme si nous étions du même ballet, les instruments inséparables d'une symphonie jouée à ciel ouvert, à cœurs confiés. Tout en haut de la vague, je viens m'appuyer un bref instant. Tout en baissant ma voile sur le côté, je découvre l'arc tendu de l'eau diaprée, veinée. Loin, en contre-bas, comme si je me trouvais sur un surplomb, au-dessus de la vasque d'un torrent, je prends le tempo et le pas de l'onde, j'ai déjà repéré le point de rencontre, là où qui sait, elle et moi, nous nous allègerons le temps d'un éclair, comme le nuage ou l'oiseau.
Et puis c'est la confiance, l'aveuglement, le pari peut-être à bord de la vitesse inouïe, une vitesse conquise dans le dénuement et la pureté, à bout de bras, avec la pente. La glisse est feutrée,virginale et la vague, satinée. Avant le déferlement, un silence tel un départ,laissant planer un crucial questionnement dont on redouterait la réponse. Et me voilà, meublant le temps, pariant sur la durée aléatoire qui le compose, juché entre la jouissance et la sanction. C'est un tout qui se déroule sans fards, sans artifices, aussi libre que naturel, franc tout simplement!
Là, entre deux murs liquides, il n'y a plus personne; seules les parois glauques me toisent et me font danser ou geindre! Je me surprends si souvent face à mes refus, ayant démérité, déconsidéré l'élan vital qui m'anime et me fond. C'est alors une grande déception, un accroc à la partition de l'eau et du vent, une infidélité que la mer miséricordieuse et généreuse tâchera d'oublier à chacune de nos occasions, vivant par là nos lendemains de promesses et d'infinies symbioses.
Puis viennent les jours, d'aubes et de crépuscules embrasés, quand la tempête n'en finit plus de mugir, aux vagues inhabituelles que dressent les courants sous marins, où l'immense désir s'ouvre tel l'univers. Les rivages et les côtes ont changé de vêtures, les golfes et les baies ont regagné le grand large, une Île est à la dérive, une Île a aussi peur et se terre en écoutant monter le tonnerre et le grondement des vagues qui doublent les fonds, rattrapent la terre et la dépassent. Bien souvent, des rues, des avenues de nuages courent dans le ciel, laissant deviner rarement l'azur. La mer toute entière chavire, soulève le limon des montagnes submergées, remonte vers le large après avoir heurtée les remparts de blocs cyclopéens. Les gros grains de sable s'envolent, l'eau et l'air tourbillonnent, qui du ciel ou de la mer commandent?
Les rochers, dans leurs hallucinantes excavations hurlent et crient, lâchent des plaintes lugubres. De la mer, le paysage est grandiose, inhumain. Il est celui du Dauphin ou du Marlin que l'on assassine, du pétrel ou du Puffin qui domine l'envol.
Chaque vague s'enfuie et disparaît sous la poussée furieuse du vent. La surface se déforment, semble glisser et se dérober à mes pieds; le large est là, partout, violet ou indigo, sans fond, vertigineux. Au loin, c'est la rive ocre et l'or de la vie. Je devine le désordre et le chaos, le tumulte d'un grand déferlement qui délinée les contours écumeux de la côte. je n'ose plus rien, me refuse à entrevoir la moindre faille qui trahirait l'aventure osée que je m'accorde. Je parcours des dizaines de Milles, visitant les plus belles vagues du Grand Sud, m'en approchant et pour certaines d'entre elles, je leur accorde un pas de deux, décidé à ne plus les décevoir. Et je le dis comme je le pense, c'est avec elles, en elles que sera mon dernier soupir de voyageur terrestre. Puisse - t -il m'ouvrir les horizons éthérées du ciel et de la mer, après tout l'univers d'une seule goutte d'eau qui les contiendrait pour l'éternité, hors d'un temps impitoyable que l'homme s'impose
Marin Cristian
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