AVEC LE VENT DU NORD ...
On dit là-bas, que les falaises ne résistent plus aux assauts de la mer et des vents !
Le ciel semblait nous regarder, ouvrir de grands yeux aux paupières nimbées de fards et de velours ; il versait des flots d‘azur intenses tout en bordant la cité des falaises et ses plateaux d'un épais manteau d'hiver.
Que la vie soudainement se fît fragile, vacillante ! une seconde engagée sur le fil nu de l'horizon ... et un autre dessein rivé, un battement d'ailes pour l'oiseau qui caresse la lèvre de la vague et le ressac précipités l'un contre l'autre en un même élan contraire ... Un trait de fusain tiré sur la bure crayeuse, comme un cillement bleu qui se perd dans l'immensité et le vide, une goutte d'eau fabulant la mer et l'infini ! Et le chagrin d'une étoile, qui aurait été à tout jamais blessée, esseulée ...
Les dalles de ouate épaisses s’amoncelaient dans le lit du vent et de longues pannes sombres glissaient en rues de nuages vers la cité. Les convois du ciel délinéaient avec les oiseaux marins les contours ocreux de l‘automne révélant à jamais l‘œuvre intemporelle des éléments. Ils composaient avec les rayons du soleil en ce mois d’équinoxe un paysage profondément mouvant et harmonieux, un éclairage abyssal et cru.
Migration alentie que celle de ces titans de brumes scellant le pacte irrévocable du ciel et de la terre, resserrant leurs étreintes, ces nappes de silences et d'oublis jetées entre les hautes falaises.
Pourraient-ils un jour être à cours d'eau, abandonnés des vents, invisibles ou figés ? creuseront-ils inlassablement l‘arche et la voûte des mondes, ce décor fantastique de contes de fées, les arcanes de l'enfance et ses merveilleux châteaux de sable ?
La mer et la houle tonnaient. Elles rendaient aux orages dispersés, à la foudre un écho sourd. Mais d'imposantes volutes noires les étouffaient au-dessus des flots et rivalisaient d’éclats en leurs moires d’argent, de métal en fusion ; la mer tavelée, si belle et ocellée, couverte de dentelles, de mantilles évanescentes auréolait les blocs cyclopéens.
Et s'ouvrait à mes yeux le grimoire immaculé et gigantesque du monde abreuvant pour l'éternité les monts de l'imaginaire, nourrissant le cours fécond des légendes et des mythes ...! Je regardais oeuvrer l'incommensurable Alchimiste.
Les courants marins nappaient la mer aux apparences trop calmes, osaient tant de fantaisies ; quelles inclinations à la rêverie conférait à ce tableau de grand maître le sommeil englouti des dieux antiques ? Ces limbes, tels les serments du soleil flottant à l’encontre des grains noirs attardés, portés et élevés par des jets de lumières aux couleurs intenses, ces fragments de temps que les vagues projettent comme les comètes dans la nuit après la tempête !
Je demeurai là, fasciné face à tant de beautés et de libertés ainsi concédées par chacun des travailleurs de la mer ouvrant ensemble à modeler, à esquisser l’écheveau des saisons.
La mer obscure et lumineuse, pareille au champ des étoiles fleurissait aux vents, aux revolins mélodieux des falaises et toute la côte, en ces lieux, accore et soudaine, comme une apothéose clamait l’ode à l’eau, louait le perpétuel recommencement. Les années ne pèsent plus rien si près des vagues ; ne renaissent-elles pas de leur fin, de ces regards fluides et cristallins qu'emporte la noria des dunes, le désert ?
L’eau sourdait du ressaut des falaises. Un goutte à goutte vertigineux qui se mêlait à la chevelure des vagues ; elles nouaient ensemble de féeriques cascades; ainsi fusaient, fluaient aux couleurs diaphanes de multiples arcs-en-ciel quelques bribes insaisissables de conscience ignorée, perdue, absconse … Je m'interrogeais, je me perdais,
Regardant passer en chemin des inconnus ; l’émerveillement, l’innocence nous liaient et pourtant, comme chacune de ces vagues, je devais me résoudre à ne plus les côtoyer ! Rencontre muette et périssable, issues croisés et sans lendemain, reverrais-je un jour ces visages heureux, les enfants de toujours que la mer subjuguait, reconnaîtrais-je alors dans ma souvenance ces expressions joyeuses emplies de sérénité, respirant si près de moi au bord de la mer l'iode et l'embrun purifié d’un jour à part, pleinement réconcilié !
Le souffleur de verre était à l’ouvrage, aux pieds des falaises, libérant au moment d'ultime tension le soupir extatique et irisé de l‘au-delà. Voyance aux confins de la pulsation océane, lourde et si légère à la fois, voile immaculé d’encens flottant comme un songe, l’icône sacrée orchestrait ses dénouements heureux, éternels …
Les lames épaisses et transparentes continuaient de danser, se destinant lointainement à la côte avant de dérouler la fresque du grand large, polissant l'assise durcie et découpée des abrupts gorgés de sels et de concrétions.
Les falaises, dans leurs incessants dévalements et effondrements, retenaient une longue écharpe d‘écume et de mousse. Le rivage transcrivait d'un seul éclat de blancheur le vaste poème des vents autour de la terre, répercutait la rime, la scansion interminable des coups de mer accourus pour combler les grottes béantes, répercuter le chant des îles.
Chaque vague emprisonnait la respiration de l'univers ; il s’échappait de l’évent de ces créatures fascinantes, de cet œil de velours redoutable un voile de clartés et de douceurs prêtes à se dissoudre, ultime baiser de l'onde à la solitude… La mer évoquait le large et le large lui répondait encore plus lointain par des mots vagues.
La course basse du soleil obliquait inlassablement ses flèches d'or, les rayons tendaient de larges haubans au fil des grains. Il les distribuait avec la passion et la ferveur d'une verticale intensité ; l‘étendue et l'ineffable chevauchée m'emportait au-delà de tout dans un élan de steppe et de sommets, si près du ciel.
Cristian-Georges Campagnac
1 ère Ecriture le 11.10.2011
2ème Ecriture le 10.Octobre 2011
Lecture à mes Petits Enfants