H de BALZAC - LA MER ET L'ENFANT MAUDIT
Des lignes admirables, entre Prose et Poésie, l'allégorie et le rêve. Je vous propose, à la lecture de cet Extrait, de découvrir - si ce n'est déjà fait - un Artiste Peintre, Michel LAROCHE, dont les toiles, l'imaginaire et le rêve siéent si bien à ce sublime passage d'Honoré de BALZAC
( ... )
A quoi comparer un être à qui les lois sociales, les faux sentiments du monde étaient inconnus, et qui conservait une ravissante innocence, en n'obéissant qu'à l'instinct de son coeur. Néanmoins, malgré sa sombre mélancolie, il sentit bientôt le besoin d'aimer, d'avoir une autre mère, une autre âme à lui ; mais séparé de la civilisation par une barrière d'airain, il était difficile qu'il rencontrât un être qui se fût fait fleur comme lui. A force de chercher un autre lui-même auquel il pût confier ses pensées et dont la vie pût devenir la sienne, il finit par sympathiser avec l'Océan.
La mer devint pour lui un être animé, pensant. Toujours en présence de cette immense création dont les merveilles cachées contrastent si grandement avec la terre, il y découvrit la raison de plusieurs mystères. Familiarisé dès le berceau avec l'infini de ces campagnes humides, la mer et le ciel lui racontèrent d'aimables poésies. Pour lui, tout était varié dans ce vaste tableau si monotone en apparence. Comme tous les hommes de qui l'âme domine le corps, il avait une vue perçante, et pouvait saisir à des distances énormes, avec une admirable facilité, sans fatigue, les nuances les plus fugitives de la lumière, les tremblement les plus éphémères de l'eau.
Par un calme parfait, il trouvait encore des teintes multipliées à la mer qui, semblable à un visage de femme, avait alors une physionomie, des sourires, des idées, des caprices : là verte et sombre, ici riant dans son azur, tantôt unissant ses lignes brillantes avec les lueurs indécises de l'horizon, tantôt se balançant d'un air doux sous des nuages orangés. Il se rencontrait pour lui des fêtes magnifiques pompeusement célébrées au coucher du soleil, quand l'astre versait ses couleurs rouges sur les flots comme un manteau de pourpre. Pour lui la mer était gaie, vive, spirituelle au milieu du jour, lorsqu'elle frissonnait en répétant l'éclat de la lumière par ses mille facettes éblouissantes ; elle le faisait pleurer, lorsque, résignée, calme et triste, elle réfléchissait un ciel gris chargé de nuages. Il avait saisi les langages muets de cette immense création. Le flux et le reflux étaient comme une respiration mélodieuse dont chaque soupir lui peignait un sentiment, il en comprenait le sens intime. Nul marin, nul savant n'aurait pu prédire mieux que lui la moindre colère de l'Océan, le plus léger changement de sa face... A la manière dont le flot venait mourir sur le rivage, il devinait les houles, les tempêtes, les grains, la force des marées. Quand la nuit étendait ses voiles sur le ciel, il voyait encore la mer sous les lueurs crépusculaires, et conversait avec elle ; il participait à sa féconde vie, il éprouvait en son âme une véritable tempête quand elle se courrouçait ; il respirait sa colère dans ses sifflements aigus, il courait avec les lames énormes qui se brisaient en mille franges liquides sur les rochers, il se sentait intrépide et terrible comme elle, et comme elle, bondissait par des retours prodigieux ; il gardait ses silences mornes, il imitait ses clémences soudaines. Enfin, il avait épousé la mer, elle était sa confidente et son amie.
Le matin, quand il venait sur ses rochers, en parcourant les sables fins et brillants de la grève, il reconnaissait l'esprit de l'océan par un simple regard ; il en voyait soudain les paysages, et planait ainsi sur la grande face des eaux, comme un ange venu du ciel. Si de joyeuses, de lutines, de blanches vapeurs lui jetaient un réseau fin, comme un voile au front d'une fiancée, il en savait les ondulations et les caprices avec une joie d'amant, aussi charmé de la trouver au matin coquette comme une femme qui se lève encore toute endormie, qu'un mari de revoir sa jeune épouse dans la beauté que lui a faite le plaisir. Sa pensée, mariée avec cette grande pensée divine, le consolait dans sa solitude, et les mille jets de son âme avaient peuplé son étroit désert de fantaisies sublimes. Enfin, il avait fini par deviner dans tous les mouvements de la mer sa liaison intimes avec les rouages célestes, et il entrevit la nature dans son harmonieux ensemble, depuis le brin d'herbe jusqu'aux astres errants qui cherchent, comme des graines emportées par le vent, à se planter dans l'éther. Pur comme un ange, vierge des idées qui dégradent les hommes, naïf comme un enfant. Il vivait comme une mouette, comme une fleur, prodigue seulement d'une imagination poétique, d'une science divine de laquelle il contemplait seule la féconde étendue. Incroyable mélange de deux créations !
( ... )
H. de BALZAC
La Comédie Humaine
L'Enfant Maudit
Pages : 83 - 84
Édition : 1965 - Maresq & Cie
Rencontre et Cercle du Bibliophile
Michel LAROCHE, avec l'aimable autorisation de l'Artiste
A VOIR ABSOLUMENT
http://www.laroche.odexpo.com/
.