LA MER ET LOUIS ARAGON ...
C'est une Poésie sombre, le bout de la route dirait-on pour cet Homme du Siècle passé. La Mer vient au secours de ce texte orphique réconcilier l'homme en sa profonde nature duelle...!
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Voilà donc où tu perds malheureux la lumière qui s'achève
Cette dernière braise de ton coeur au foyer dispersé
Voilà donc où tu courais Le couronnement de ta pensée
Quand tu n'as pas plus le temps de rien voilà pourtant ce dont tu rêves
Tu vois la forme et la limite et déjà tu touches l'horizon
Pourras-tu finir ce poème avant que ne tombe la foudre
Et cependant tu te prends à jouer avec un dé à coudre
Le poids de ce que tu n'as pas su dire écrase ta raison
La révolte des océans la convulsion des naufrages
Dans les déchirements sans nom de la créature et des cieux
Et la souffrance qui bat sa voile noire sur les hauts lieux
Où les phares ont tricoté la première nuit des veuvages
L'homme subitement à la mer A l'horreur démesurée
Ce peu de chair de muscles d'os cet être pensant cette force
De qui la lassitude à la fin va consacrer le divorce
La solitude gigantesque du bouchon dans les marées
Le typhon soudain balayant un bonheur d'îles sous sa douche
Le sommeil des cités comme un navire à la merci des eaux
La lame de fond qui porte au ciel l'épouvante des oiseaux
Pour retomber sur les polders comme une main coiffant les mouches
Tout cela qui peut-être rien qu'en raison des proportions
Semble pis que le simple soupir et la bave au coin des lèvres
Où bien sagement dans un lit s'éteint la vie avec la fièvre
Et l'on ressent le grand calme apporté par l'inhumation
Tout cela pourtant qui nous laisse ivresse amère et grandiose
Comme à l'enfant le rouge du rideau qui tombe au Châtelet
Pour que l'écume à nos pieds jette au ruissellement des galets
En pure dérision ce baigneur de celluloïd rose
Extrait du Roman Inachevé et du Chapitre : " Le Téméraire "
Aux Éditions : Folio - Poésies
Pages 42 - 43
Dessin à l'Encre de Victor HUGO, pour les Travailleurs de la MER