LE SEUIL, LE SABLE - POESIES COMPLETES 1943 / 1988 - EXTRAITS
Qui dirait encore, de cette île, qu'elle est une île et de ce " il " qu'il est une pensée ?
Qui dirait, ne ressassant que cela, qu' " il " et " île " sont une seule pensée au sein du vide où elle persiste ; tantôt figée dans son désir - mais c'est l'espace qui, autour d'elle, s'anime - ; tantôt ivre d'errance - mais dans un univers immobile.
Ce qui demeure fuit. Et à aucun moment ne refuse : ni l'attente, ni l'aventure ;
ni d'être double,
ni d'être solitude du double
et multitude de solitudes.
(...) Disant davantage - ne se livrant pas. Une pensée à ce point partagée qu'au plus frêle de sa précarité, elle cesse d'être double.
Ne disant rien que sa négation.
(...) Cette blancheur d'un autre soi-même, plus blanche encore où elle s'écrit.
Mots extrêmes.
L'espace ah ! l'espace infranchissable.
Qui dirait, aveugle et, aussi, émerveillé, la séparation alors qu'elle est univers préservé dans sa plénitude ?
(...) Là où la douleur est seule et l'amour, ses propres ailes brûlées.
Disant l'immémoriale attente ; en vain la perpétuant où il n'y a plus de cris qu'intérieurs.
Et puis cette " île " au plus lointain de l'exil où l'onde n'est qu'ample rumeur indocile ; que mots ivres, sans objet, se heurtant à leurs lettres défuntes.
Poussières de sel.
D'autres déserts sont en vue.
Ronde est la terre à force de tourner sur elle-même.
Le vide qui l'a modelée, la voulant ainsi.
La rondeur est fruit de la patience.
Toutes les traces cédant la courbe.
Bel arc-en-ciel !
Serons-nous toujours ce bond et cette chute où le nom s'ouvre au nom qui l'habite ; où la couleur s'ouvre à la couleur et se consume ?
Le vide après l'incendie.
Et puis cette errance toujours reconduite.
Et ce besoin urgent, pathétique d'en finir.
(...)
Feinte liberté ! L'errant, dans sa dépendance à la route, ne témoigne que de ses chaînes.
De cette solitude qui parle à soi-même pour rejoindre la solitude de l'autre,
la parole est le pas et l'ancre.
Un moment de distraction aura suffit à noyer les cinq continents.
La mer est sans remords.
Le dilemme et l'épi.
Le champ n'est jamais que sol meurtri d'une innombrable naissance.
Un voyage, vous dis-je, un éternel voyage dans l'inconnu et dans la mort.
L'âme est plus vaste que le monde.
Nous sommes cette déchirure.
EDMOND JABES