TERRE D' EX-ÎLE ...
CANTI NUSTRALI
Chants de la Terre de Corse
AUX SOLITUDES DE L'HIVER
Je ne reconnais désormais plus la côte. La mer révulsée aurait vieilli, tellement ridée ! qui dévoile un chapelet de nouveaux d'îlots insoupçonnés, surgis des temps immémoriaux, que les oiseaux retrouveraient en les saluant. Les brisants nimbés
d'écume tonnent et grondent. Un cirque minéral abrite les cieux. De hautes gerbes d'écume portent plus haut et plus loin l'interminable plainte, les dolentes suppliques du vent. Une
autre vision du réel se révèle sous mes yeux.
Un petit esquif vélivole dompte révolins et rafales en se
faufilant au fond des sillons et des tranchées denses. Un marin erre comme il se livre en conscience au courroux de la mer - " la peau du diable ", évoquaient les anciens de la marine à voile -.
L'agonie masquée des rivages en sursis se devine. Les vagues emportent le faix de la forfaiture. L'étendue morne se hérisse, se soulève et ondule au gré des forces titanesques que le large et les abysses engrangent.
Une mer tempétueuse. Indicible fresque que le grand ordonnateur de la nature compose. Un univers déjà et sitôt menacé !
Un monde unique que tout un chacun habite, vit passionnément. Au-delà des jours insouciants, de l'été, des représentations et des prismes réducteurs de l'artifice.
Je souhaiterais tant que l'on accordât
aux noces pérennes de la mer et de la terre insulaires cette frange, ce merveilleux feston où convolent les
plus profondes harmonies, de rares sublimités, la lente et souveraine métamorphose des origines.
Ainsi voguent mes pensées, loin des clichés, des lieux communs. Fustiger le cours argenté de l'étant qui défigure chaque jour un pan remarquable et souverain de ces hauts lieux de
nature authentique, de culture ancestrale et séculaire, d'une Île à part que l'homme jadis aurait déjà parfaite !
Je n'invoquerai jamais plus la " nature sauvage " " la beauté sauvage " ! Car en effet, que recèleraient-elles de tel ? Que signifie cette acception lorsqu'il s'agit d'évoquer l'originalité, la solennité de ce qui fut toujours les fruits des éléments qui nous destinent ?
Il se joue ici les partitions de sibyllines symbioses. Les Travailleurs de la mer et de la Terre honorent
l'art de la création, fascinent, fulgurent l'ordonnancement de toute formes de vies. Depuis la nuit des temps, comme au coeur de chaque jardin, de chaque prairie, de toutes les forêts, les dieux de l'Attique veillent toujours !
Les fortes tempêtes de l'hiver dévoilent les frontières inviolables de la Terre et de la Mer. Vertiges de nous émerveillés, aimants, respectueux des grands espaces. Comment déroger à ce principe vital, à ce préalable incontournable et digne de la raison éclairante, où que l'on fût !
La Nature est ainsi conçue dès lors que l'on satisfait à ses penchants de prodigalité, que l'on consent à l'épargner, à considérer son univers de promesses, de fruits et de moissons toujours recommencées.
La donne et la règle du jeu ont changé... De cette transparence qui semble régner à la surface des flots, sourd l'apparence faussement teintée des lagons ultramarins... Mais la mer fait l'apologie du silence. Chantre de l'oubli, rebelle, ses nuaisons façonnent l'horizon, le
Destin mémoriel immensurable qui déciderait du déclin ou de l'avenir des civilisations.
Qu'elle voulut parfaire ici-bas le Ciel des Hommes, sur la terre, qui la trahirent, la souillèrent à toujours : certainement !
Qu'elle porte aujourd'hui le deuil de milliers de jeunes vies qui dérivent et pleurent en son sein quand d'autres s'ébattent sous Juillet radieux ! Tragiquement ...
En ces heures de sublimation et de mal de terre, je filais à vive allure et butais contre les déchets des temps modernes.
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Sur le sable, vomis par les colères des vastes étendues, s'échouaient ces horribles amalgames de cordes et de mazouts, des bois flottés maculés de brut, des myriades de particules, de macro - molécules de matières plastiques qui font la fortune de la sur-production, du commerce de détail, de la démesure, de la folie.
J'assistais aux reflux incessants des déchets rejetés par la mer, pris dans le ressac. Un râle rauque, pareil au grognement d'un animal pris au piège de l'être dominant !
Je ne saurai naviguer ni planer sans dénoncer ce que je vois et qui apparaît comme une offense, une insulte à toutes les terres, les Îles, les rivages. L'argent-roi s'en est emparé à tort défigurant à jamais le regard et le sourire amènes de ces oasis souverains et vénérables.
La gangrène chemine lentement, remonte les terres vers le rivage ou dévale les monts, emportée par les crues, les vents de la fournaise incendiaire.
Le temps de vivre précipite, n'est plus.
Quels plus beaux desseins valent l'amour et le respect des saisons ? Partout éclosent avidité, dominance cupidité. Le passé, inextricable, pris dans les rets du chiendent et de la liane ronce s'étoile, s'égare telle la ruine romane dans le maquis.
L'éloge de l'éphémère bannit les vérités de l'éternel.
Le Littoral se meurt. On construit à l'envi, on vend à l'encan, on abat les collines, on creuse comme on bouscule les tombants sur l'azur pour quelque nuitée flambant six mois de salaire d'un ouvrier.
La Terre-Mitière triomphe trois mois de l'année. Vient le temps des villes fantômes qui entonnent le chant funèbre de la désolation !
Depuis le large, je découvre l'empire du béton qui barre l'horizon. La Terre en moi hèle une époque. De ses lointains, elle semble me dire :
" ... Regarde, Marin, ce qu'ils font de moi ! Je suis défigurée, brûlée, arasée. Je ne ressemble plus à rien, mais à tous les bords de mer, uniformément " ! Je ne suis que chimères, exutoires bradés et portés sur les petits écrans que les fards de la haute définition encensent
Des intérêts reproduisent les erreurs commises ailleurs, par effets de modes, dans la précipitation et l'appât du gain.
Les paparazzis de l'image à sensation et de l'extrême me dévorent, dévoient une réalité dont ils se repaissent en jouant les rédempteurs d'un tout-nature galvaudé ; piètre contrition, fausseté ...
Il est aisé d'arborer la mine déçue des nostalgiques d'un passé idyllique. Ces atermoiements germent sur le terreau de l'intérêt, au prix de l'hospitalité souillée. Et, sur l'autre rive, on trouve la grande braderie de l'image qui rapporte, politiquement correcte. D'aucuns craignant de faire dans l'interprêtation... "
Une Île s'interroge
Maintenant, comment la différencier de l'innombrable et du commun parmi tous les villages, toutes les villes qui se ressemblent ?
Une Terre, Ex-Île, jadis si prospère, fertile et féconde, unique... Vendue à l'été. Qui dépérit et suffoque chaque année sous une épaisse chape de béton. Une colonne de gaz l'enveloppe, de la mer jusqu'au ciel.
On déchire les montagnes, les terres se recouvrent de terrasses et de toits, de hangars, de construction hybrides. Murs, enceintes, barbelés envahissent les dunes... Sur la mer, à travers les chemins du maquis, des crabes de fer vrombissent et soufflent leur haleine fétide !
" ... J'invoquerai tempêtes, ouragans et déluges de pluies pour qu'ils me rétablissent aux seuils souverains de mes splendeurs passées. Je recouvrerait l'euphonie de mon cantique. Je participerai du plain-chant que les éléments, les hommes libres et humbles élèvent comme une
ode à la mémoire sereine.
Qui oserait vaincre mon univers de falaises et de brisants ? Qui détournerait mes torrents, les eaux qui m'abreuvent d'eau cristalline. Qui bâtirait face aux vents et aux vagues qui bientôt balaieront l'ignoble diktat de l'argent-roi...
§
Marin - 23.01.2013
2 ème Écriture le 24.01.2013
3 ème Écriture / En cours
4 ème Écriture le 13.03.2020
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