LE RIVAGE DES SYRTES / EXTRAIT !...
Avant de vous livrer d'autres passages de ce Livre, du roman à part de Julien GRACQ, voici un extrait qui nous initie à la lecture de cet ouvrage, à sa poésie, à quelque imaginaire hors du commun et du temps ... Et si la Méditerranée se fût un jour nommée, Mer des SYRTES, petite et grande, entre le Golfe de Gabés et Leptis Magna, la Tripolitaine, la Syrte Majeure.
Allez, rêvons encore un peu, tant qu'il en est encore temps. Il est des livres fondamentaux qu'on se doit de livre, attentivement, afin d'en restituer quelques passages. Comme s'il nous appartenait d'entretenir la trace et l'empreinte lumineuse du sentier initiatique
!
C'était une sorte d'iceberg rocheux, rongé de toutes parts et coupé en grands pans effondrés avivés par les vagues. Le rocher jaillissait à pic de la mer, presque irréel dans l'étincellement de sa cuirasse blanche, léger sur l'horizon comme un voilier sous ses tours de toile, n'eût été la mince lisière gazonnée qui couvrait la plate-forme, et coulait çà et là dans l'étroite coupure zigzagante des ravins. La réflexion neigeuse de ses falaises blanches tantôt l'argentait, tantôt le dissolvait dans la gaze légère du brouillard de beau temps, et nous voguâmes longtemps encore avant de ne plus voir se lever, sur la mer calme, qu'une sorte de donjon ébréché et ébouleux, d'un gris sale, qui portait ses corniches sourcilleuses au-dessus des vagues à une énorme hauteur. Des nuées compactes d'oiseaux de mer, jaillissaient en flèche, puis se rabattant en volutes molles sur la roche, lui faisaient comme la respiration empanachée d'un geyser ; leurs cris pareils à ceux d'une gorge coupée, aiguisant le vent comme un rasoir et se répercutant longuement dans l'écho dur des falaises, rendaient l'île à une solitude malveillante et hargneuse, la muraient plus encore que ses falaises sans accès.
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Julien GRACQ
Le Rivage des SYRTES
1951
Edition - José CORTI
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