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RECIT
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C’était un 14 février, comme aujourd’hui…
Tzu Hang, ketch de 14 m caracole vers le Cap Horn. A bord, Miles Smeeton, son épouse Beryl, leur équipier John Guzzwell ; et bien sûr, c’est le coup de chien, mais pas n’importe lequel. Lisez ça (c’est Miles qui parle).
« Quand John est descendu dans la cabine, Beryl a continué de barrer comme avant, en vérifiant sans cesse le cap au compas mais en suivant un peu plus le vent et les vagues. Elle commençait à s’y habituer ; le vent était toujours aussi fort. Le soleil perçait parfois les nuages et de temps en temps elle se trouvait baignée de soleil. Une vague est passée sous Tzu Hang qui a pivoté légèrement. Beryl a corrigé sans mal et, en arrivant au fond de la vallée, elle a regardé en arrière pour vérifier l’alignement. Juste derrière le bateau un mur d’eau se dresse, si large qu’on n’en voit pas les extrémités, si haut et si escarpé que Beryl comprend immédiatement : Tzu Hang ne pourra jamais l’escalader. Cette vague ne brise pas comme les précédentes, mais l’eau ruisselle sur sa face avant, comme une cascade. Beryl pense en un éclair : rien à faire, je n’ai pas dévié. Cette dernière image de la vague, qui a bien failli être la dernière de son existence, restera toujours vivace dans son esprit. Aussitôt après, elle se sent projetée hors du cockpit, c’est l’unique impression qu’elle ait gardée. Et elle se retrouve dans l’eau, sans savoir si elle a coulé entre temps ou non.
Tzu Hang est invisible, Beryl porte la main à sa ceinture mais ne trouve que l’extrémité cassée de son bout. Elle donne de grands coups de pieds dans l’eau tout en pensant : Mon Dieu, ils sont partis sans moi ! et ses bottes, les bonnes grandes bottes de John, s’en vont à l’eau. Puis une vague la soulève, elle se tourne dans l’eau et aperçoit à trente mètres Tzu Hang, le fidèle Tzu Hang, stoppé net. Les mâts ont disparu, le bateau est bizarrement enfoncé, mais enfin, il flotte et Beryl nage vers les débris du mât d’artimon ».
Le ketch vient de sancir (chavirer par l’avant, cul par-dessus tête) sous le poids d’une lame monstrueuse. Par un incroyable miracle Beryl sera récupérée, sauvée, mais le bateau est plein d’eau, à moitié coulé. La première chose qu’elle dira en montant à bord : « je sais où sont les seaux, je vais les chercher… » Superbe Beryl
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(Extrait de Défi au Trois Caps, sir Francis Chichester, Arthaud éditeur 1967 – Traduction Florence Herbulot)