" CHJARA "
Le coeur lourd, le regard rivé vers le Septentrion, lors de mes nombreux bords de retour à la côte, je discerne, dans les lointains, en basses couches, la fumée des incendies qui dévastent notre Île. Consternation, affliction et surtout, une pensée pour les femmes et les hommes déployés sur les fronts de ces multiples incendies.
Les vents de ce jour et de la veille ont dépassé les valeurs atteintes par la tempêtes " HERVÉ ", il y a plus d'une semaine. 220 Km/h soit près de 119 Noeuds !
Très curieusement, dans le Grand Sud-Ouest de l'Île de Corse, les vents n'ont jamais atteint les seuils franchis au Cap et parages Cap Corse / Balagna.
Le relief Isobarique aura déchaîné les vents au Nord de l'Île / Mer de Ligurie et de Balagna, les versants nord-orientaux, notamment.
Hier, en journée, le Sud-Ouest de l'Île a été plus ou moins épargné ; un épais manteau de nuages bas couvrait le ciel en donnant des ondées sporadiques et modestes. La traîne vint la nuit de Lundi à Mardi, avec forces rafales.
Une température anormalement chaude, des vents forts, - 50 à 60 Noeuds - pour le Golfe de Ventilegna, certainement bien davantage à l'Est des Bouches de Bonifacio par effets Venturi, mais aucune vague ! Surprenant ... Une mer du vent qu'il fallut chercher, justement au vent des brisants, là où le puissant Libecciu ne rencontre aucun obstacle et souffle librement depuis le large.
Exaltation ! Les grands espaces enivrent, subjuguent. Féeries d'une Île ici intouchée. Les éléments dictent leur volonté, sainement, sans trahir. Voici l'expression d'un pacte, d'une alliance aux serments immémoriaux. J'ai souhaité partager ces moments, m'y fondre comme on laisserait une empreinte que rien ne saurait effacer, masquer.
SOLO
La mer prend et rend à sa guise. Je ne suis que l'hôte d'une partition cosmique, intemporelle. Je vogue sans jamais quitter les signes du ciel et des oiseaux marins ; mes sens restent à l'écoute, d'autres se révèlent à bord, que je n'imaginais pas, selon les sollicitations soudaines d'un milieu hostile par essence ! Ainsi des mouvements de l'eau, des fortes rafales que ma trajectoire tente d'effacer en lofant, en me mettant quasiment bout au vent, avant de reprendre mon cap. Toucher, palper les vents de son aile ! Voir et décrypter l'invisible fluence de l'air, explorer les déséquilibres que l'envol confère puis, se poser, légèrement, sur les flots, l'azur, la moire !
Parvenu toutes les fois au pied de haute colonnes de granite, les vagues tonnent, grondent, se brisent et s'élancent vers les hauteurs minérales, ressemblent aux nuages. Les abrupts réfléchissent des ondes puissantes et me renvoient quelques lames, quelques tremplins liquides à tenter.
Je sais les lieux exposés ; vigilant mais jamais prêt à affronter l'accident en mer ... Je reste dans la perspective d'une toute relative autonomie. Tenter de revenir à mon point de départ, quoiqu'il advienne, enfin, jusqu'à un certain seuil de gravité. Et puis, il y a l'imprévu, ce qui nous échappe, la pulsation, le souffle vital qui viendraient à manquer, à cesser, ne serait-ce qu'un funeste instant ! On y pense. Mais le Solo est à ce prix, sans mettre la vie de l'autre en péril. Il faudra rentrer. Aucune autre alternative décente qui vaille !
Le vent passe les 50 Noeuds en rafales. L'azur délire ; camaïeux, pâle absinthe, nuées d'embruns ! Les Puffins planent plus au large, derrière la grande barre des brisants. Jouent-ils, chassent-ils pour assurer la subsistance de la couvée
?
Je pense aux incendies, à la vie des montagnes qui nous quitte, aux drames qui peuvent tout dévaster d'une vie, aux dons de ces Femmes et de ces Hommes qui se mettent entre les flammes, le brasier et d'autres hommes, d'autres femmes et enfants, des animaux pour que gagne le respect de la vie.
Une pratique extrême ne saurait être sans son penchant de pensées, de questionnements essentiels, ces pans de vérités que l'on côtoie sans cesse au coeur des éléments déchaînés.
Et c'est bien de là, de ces vires somptueuses et franches que je souhaite en éclairer le sens, la portée, le message, la signification, le pourquoi, avant de passer.
Puissent ces mots et ces images contribuer à dire que cette Île est un écrin de beautés sauvages et vierges unique, qu'il importe de chérir, de préserver, de protéger, de rendre à la souveraine mémoire de tous ses visages immémoriaux
!
- MARIN -
Tempêtes Corses / Journal de Board
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