VOYAGES _ VOYAGE !...
IMMERSION
Les portes et les terminaux de mes lointains voyages se seront si tôt et à jamais refermés. La vie, la destinée, l'aléa et la nécessité en auront ainsi décidé, durablement, irrévocablement ! Je mutais, m'exilais, vécus la distanciation de l'exode ...
Ressouvenirs de nous, jeunes et insouciants ! Embarqués sur les flots de l'Estuaire du fleuve Kango, remontant la côte sauvage au gré des marées, en partance vers les Caps Santa Clara et Estérias. Aurions - nous vécu quelques limites, celles que l'on attribue aisément ou communément à l'improbable, à l'affabulation dont d'aucuns se targueront de reléguer la nouvelle dans les bas-fonds de l'ostracisme ?
Impatients, fascinés, nous participions d'une régularité obstinant les noces des deux hémispères, les pans de territoires marins immenses, au-delà de toute présence humaine. Le sable éblouissant, pulvérulent, crissait sous nos pas. Nous allions, à la merci du soleil mordant de l'Equateur. Les claires prémisses de l'Atlantique Sud envoûtaient. J'en reçois en l'instant les troublantes vibrations. J'en perçois les images, à toujours gravées dans ma souvenance. L'expérience humaine, aux portes de la vie, eût manqué à nos trajectoires !
Mais il fallait toutes les fois passer une redoutable épreuve : franchir la barre, en pirogue, de jour comme de nuit. Les conditions dictaient. Un seuil qui sollicitait sans fin, qui éprouvait les ardeurs d'une saine jeunesse. Déjà vouée aux visées de l'extrême, de l'aventure, de l'inédit, comment eût - elle pu braver plus profondément l'interdit, sans à priori ni esprit de contestation pubère. La Nature conférait au sacré que l'on ne s'explique pas de raison ou avec force préceptes obtus.
C'est en procédant d'un empirisme spontané, de l'observation que nous constaterons, des années plus tard, combien nous évoluions proches de conduites et de réponses efficaces, somme toute prévenantes ou pressenties. Elles mettaient en exergue et en application une foule de conduites opportunes, simples ! Humbles se révélaient les préparatifs de nos sorties en mer. A l'instar de nos tempéraments, conscients des obstacles qui jalonnaient notre route. Tenir le cap et le flot afin d'atterrir au décrochement Sud de Pointe Pongara et, delà, tracer vers le phare de Gombé ! Un autre monde se livrait aux éléments, à l'eau, à la forêt, aux animaux de toujours, aux mystères de la brousse et de la mangrove ...
Une pirogue taillée dans le bois d'okoumé nous servait de passeur, de mythe intarissable au royaume des animismes fondateurs, tutélaires. Fabuleux moments que les grands espaces, la solitude et la liberté convoquent. Les moyens rudimentaires - issus de la récupération - que nous mobilisions, mis à notre disposition, acquis selon l'art de la débrouillardise, ne confinaient ni à la retenue ni à la prudence.
L'appel de l'Océan, des immenses bancs de sable ponctués de mangroves, de la pêche à la daurade que nous menions au-dessus du plateau continental, avant les grands fonds, étaient plus forts que tout ! Irrepressibles visées. Prodigalité de l'essai, de l'erreur, de la leçon apprise à l'instantané de toute rencontre et de l'obstacle à surmonter sans faillir.
Le Surf faisait son apparition en France. Libreville fut sitôt mis à la page des nouvelles pratiques dont l'esprit vagabond et rebelle trouvait maintes occasions d'exceller, de se différencier. Des sites féeriques furent d'emblée investis par de jeunes intrépides aux cheveux longs. C'était le temps des élucubrations d'Antoine. Ils y abandonnaient aux pieds des arbres, d'une semaine à l'autre, un matériel réduit à la plus simple expression : une planche aux décorations flamboyantes et un leach ( Lien qui relie la planche de Surf au pied du Surfer durant ses évolutions sur la vague). L'existence semblait les avoir oubliés, égarés au tréfonds de la forêt équatoriale. Une forêt dense qui jetait de larges dais de canopée au-dessus des vagues mourantes, en coiffant le lumineux feston des berges peuplées de grumes.
Nous nous approprions lentement, sûrement les ingrédients et les secrets de l'aventure : l'imprévu, l'envers des habitudes, la spontanéité, la découverte, le sens des gestes adéquats ou opportuns orchestraient l'évaluation de nos actes, en totale immersion, en situations. La confrontation permanente en milieu inhospitalier prévalait, s'imposait de fait ; il convenait de s'y attendre. En assumer les rigueurs de manières plus ou moins radicales constituait le tribut de nos escapades...
Ce contexte forgea en nous une farouche inclination à la désobéissance, à l'autonomie, au désir de liberté ; entreprendre, concevoir, mener jusqu'à leur terme nos projets, importait, se hissait à la hauteur de nos capacités, de l'imagination.
UN LONG DECOURS
Puis vint un jour, juché au coeur de l'été tempéré comme de la grande saison sèche équatoriale. Un défilé, un dédale d'heures sombres et si tristes enténébrèrent le futur, l'avenir de mes rapports aux Mondes ; je m'étais familiarisé à cette pluralité d'univers et de mondes souverains que nous côtoyions sans relâche tandis que le temps et l'espace nous convoyaient vers les joies de la découverte, de la nouveauté.
Je dis adieu au pacte naturel que deux jeunes adultes avaient scellé et élevé au rang de voies vitales, initiatiques. Je quittai soudainement un possible dessein et son pays d'accueil. Un tout qui vibrait à l'unisson de nos de nos folies. Emprunt de respect et de déférence à l'égard d'une merveilleuse histoire, il me fallait rompre aux us et coutumes des populations bigarrées du Gabon que nous rencontrions à l'époque, il y a maintenant plus de 40 très longues années, sur les rives de l'Estuaire, du Nord du Gabon, vers le Golfe de Guinée...
Je me séparais définitivement de ces tangibles échappées dont nous avions déjà tracé la route, entrevu la faisabilité, certes toute relative et considérée à l'aune de nos acquis, d'une part d'audace, faut-il en convenir !
Les contraintes de l'existence m'arrachèrent aux mystères et aux savoirs-être de la Terre Rouge, aux rivages sylvestres de l'Equateur africain, aux longues pistes de latérite qui serpentaient à travers la forêt primaire. Je devais ne jamais plus revoir ces contrées familières et déroutantes à la fois, y laissant une large frange de mon âme, l'inclination à la joie, au désir fou d'aventures marines... L'horizon tira un trait irrévocable sur l'océan. Depuis le hublot du DC8 de la compagnie Air Afrique, je perdis le Gabon, un ami, nos fabuleux terrains d'aventures.
Jean-Pierre entreprit de rester au " Pays " du bois flotté, aux nuits et aux jours équanimes, bien trop marqué qu'il aura été par ces contrées et leurs genres de vie choyant l'humble durée de l'existence Voilà, pour la petite histoire et le cadre d'une époque à part, de ces semaines que nous inventions, si différentes, surprenantes, alors que nous nous distancions des réalités citadines et normées.
Aujourd'hui s'éternise, à demeure, comme on meurt pas à pas en s'éloignant du faisceau vacillant de la récompense. On évoquera quelques obligations qui me rivent et qui nous amarrent aux murs d'un foyer réduit à la plus simple expression, commun. Aucune possibilité de s'en extraire dépeint le tableau figé, le caractère et le décours immutables d'une longue réclusion de faits, de devoirs et d'obligations malmenés, souillés, pollués.
LE TOURNANT
J'ai alors et depuis longtemps décidé de voyager, autrement. La pratique d'une activité de pleine nature, élevée au rang de l'extrême me valut très tôt de transhumer, de migrer, de me réfugier très loin et si proche à la fois des côtes d'une île éprise de coups de temps. Elle s'avéra être mon refuge, mon nouvel el dorado.
J'y convoquais toutes les fois la solitude, non par habitude mais par l'émerveillement et la crainte que ces échappées inspiraient, très certainement ! Vivre, intensément.Un contexte qui ne changea en rien les dispositions qu'il me fallut prendre pour m'enfuir là où la Pleine Nature décline et conjugue ses redoutables atouts.
J'invoquais les éléments entre eux, électivement, ne laissant jamais de nouer ensemble des liens précieux. Je me devais dès lors d'honorer les beautés et les splendeurs intouchées qu'ils auguraient, les jours de grands vents, de fortes vagues. J'y ajoutais la longue distance toute relative qu'une montagne dans la mer impose sitôt que le marin s'engage seul, loin de la côte et des caps, en surcroît lorsque les plis des houles et de la mer des vents creusaient l'infiniment bleu. Un champ azuré alors se méritait, régénérant, fascinant.
Je retrouvais alors les ors et les transparences de l'océan. J'allais, hélas ! sans les hommes, habitants d'un pays, un peuple davantage dévolu - dit-on - aux largesses de la montagne . Les horizons de la Grande Bleue, ici, n'auraient attiré que tristesse et engendré d'irréversibles déchirures ...
Emmené à bord, à l'orée de mes souvenirs, je naviguais de tout mon soûl, ivre de grands espaces, de révélations intarissables. En l'âme du tout, vierge de toute présence, j'esquissais les contours d'un nouveau voyage, n'y trouvais aucune limite, m'absentant de la condition des lointains. Il m'était de nouveau possible de m'ensauvager, seul, à ma guise. Je pensais intensément, le moindre détail que j'eus alors traité à l'instanté d'une rencontre, d'une surprise, d'un aléa ou d'une fortune de mer, jadis. J'appris à à me transposer, à voir et à lire en un Eau-delà des sens. Je me risquais en un Tout solennel, souverain, dont tout homme libre aussitôt procède, comme élément participant des grandes harmonies de la terre, de la mer et du ciel. Épris d'un sentiment océanique, j'ouvris les yeux vers de fabuleuses baies, de splendides et rares clartés. De cette abnégation, de ce don de soi aux vastités fluides et éthérées, naquit un profond amour et respect de la vie.
La mer et ses atours, ses fards dictaient comme elle ouvraient d'autres fenêtres sur les mondes. Lumières, contrastes, saisons, rudesses et froidures m'emportaient vers maintes destinations que j'eus connu durant des années mais ailleurs, également, profondément instruits des nouvelles des contrées proches ou éloignées de mon passé, à découvrir, peut être un jour, au détour, aux confins de la chance, de l'opportunité, d'une destinée, d'une issue de vie déjà écrite et tracée depuis bien longtemps.
Je m'y serais comme soigné, enfin, guéri d'un mal obscur qui affecte l'âme et les vérités précieuses que l'on porte en-soi, acquises à la force du poignet et de la volonté, qui frappent et qui tonnent toujours aux barreaux de l'odieux soupirail de la déconvenue et du cauchemar.
J'aurai durant si longtemps connu et supporté l'ubiquiste barnum et les angoisses d'une existence urbaine, périphérique, excentrée, jalonnée de rudes et éprouvantes épreuves. Nous survivions, cloîtrés et retirés au douzième étage d'un immeuble englacé de brouillards. Parallélépipède rectangle à souhaits, métriques citadines, habitats troglodytes verticaux des Trente Glorieuses dont les yeux crevés de fenêtres mortellement juxtaposées, empilées, tournaient le dos à la Forêt Noire, au Levant. Nous perdions pour de longues semaines levers et couchers de soleil.
Ces issues de vie marquèrent du sceau de la désespérance mon retour, ma souvenance des rivages et des contrées africaines, asiatiques, maghrébines. Je n'y aurai vécu que d'espoirs chaque année vaincus, ployés, jetés à bas comme aux ordres d'une machine à tuer, à niveler, arasant toute volonté d'entrevoir l'orée d'un hypothétique libre-arbitre. Un espace de libertés légitimes qui eût pansé les blessures de la déchirure, sans pour cela recourir aux livres et aux manuels des certitudes philosophales en vogues et désuètes. L'amour du terrain délinée des horizons insoupçonnés. Je devais l'éprouver mais aussi exulter aux champs mélodieux des azurs insulaires, à nouveau îlien des rêves et de l'éternel retour
- MARIN -
SOUVENIRS D'ENFANCE
EN COURS ET A SUIVRE
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