Laisser charger les photos et les faire défiler, au bas et à gauche de la photo. Avec A Filetta, cette expression idiomatique corse
" Un ti scurda mai di a filetta "
La piste rocailleuse plonge d'emblée à travers le maquis et ne laisse plus de sinuer. Pierriers et forts dévers se succèdent, ponctués de vasques aux eaux boueuses, argileuses. Genêts et cistes de crêtes flamboient. Le vent souffle fort. Un désert végétal sitôt apparaît et s'étend à perte de vue, couvre des distances dont l'on ne perçoit plus les limites. Arêtes sommitales, pics rocheux, ergs granitiques, profonds vallons, tombants défilent sans dévoiler le tracé de la piste.
Elle mène pourtant à la mer qui se fait attendre, comme une promesse. Les kilomètres s'ajoutent lentement au compteur. Mais rien de ce trajet importune, impatiente ; le lot de la découverte est un précieux viatique, une source d'émerveillement. Senteurs et fragrances d'un authentique printemps parfont une fresque insulaire haute en contrastes et couleurs.
A la terre fertile et cultivée de nos Anciens
Le véhicule tout terrain cahote, tressaute, penche, engage et négocie au frein - moteur des pentes inclinées, - déclives terreuses et glissantes -, parcourues d'ornières et de sillons croisés laissant parfois une roue tourner dans le vide, avant de retomber lourdement. Eviter les rochers, franchir un obstacle au couple, enclencher la première des rapports courts, se maintenir, fortement agrippé à la poignée latérale. Aucun répit. Le trajet dure environ une heure trente. L'air est doux, la luminosité : intense. Le Libecciu souffle depuis trois jours et ne mollit pas, du moins en altitude et sur les terres de L'Agriate. Il façonne et polit dans les ciels du Nebbiu et du Cap Corse de vastes spires de givre.
D'aucuns s'étonnent, incrédules, quant à la véracité et la probabilité d'un désert sur l'île de Corse. Sourire, éclats de rires gras et impudents ! Je les invite à traverser L'Agriate, d'Est en Ouest, du Nord au Sud, hors sentiers balisés comme à tracer leur route, en plein été, au mois d'Août, avec pour unique réserve d'eau, celle qu'ils trouveront en chemin, au gré des sources ancestrales nichées dans le profond maquis côtier. Un enfer végétal et rocheux surchauffé à blanc les attend. Les distances à couvrir ne s'évaluent guère en kilomètres mais bien en temps, le temps de la pensée et de l'humilité. Plus de 15.000 hectares d'un massif sillonné de combes, de monts et de vaux, de bois ras et endémiques, de halliers dont l'enchevêtrement confine, étreint, étouffe, jusqu'à l'épuisement et le découragement inévitables.
Arrivé à un col dénommé, - incontournable point de vue -, la mer apparaît, surgit dans toute sa splendeur ; elle se révéle, moutonne, blanchit. Fabuleux balcon, saisissants tombants ! Les époques n'auront ici jamais passé mais s'incrustent ... La nature exulte, vit le printemps comme aux premiers jours de l'harmonie et des grands équilibres ! Plusieurs plages jalonnent les contours d'une côte dentelée, rocheuse où se perdent et se fondent les collines, les vals. Festons sableux étincelants, étangs, dunes épaisses, les vents et le sable ont ici marqué et laissé leurs empreintes jusque très haut dans le maquis littoral. Tel un pacte d'alliances, aux noces de la terre et de la mer, en plein ciel et que le massif Corse contemple, solennel.
La mer de Balagna poussée par le vent fort élonge les côtes, regagne les eaux bleu-roi de la mer de Ligurie. Le puissant Libecciu en est le liant, le révélateur. L'eau vire au vert - verre tourmaline au diapason de la remontée des fonds. D'épais rouleaux d'écume portés au rivage s'étirent sans bruit en s'alignant aux dessins du relief ; instant féerique, la pleine nature subjugue. Pareille beauté du paysage laisse sans voix ! Les fleurs sauvages, par myriades, simulent le sacre des étoiles...
Plusieurs anses ansi se détachent, interpellent, offrent quelques possibles havres de paix, des pannes naturelles où relâcher le temps d'une providentielle escale.
Les Anciens, qui cultivaient jadis les terres du grenier à blé, entreposaient leurs récoltes dans des paillers et commerçaient du Nord au Sud, entre la Balagna et le Cap Corse, San Fiurenzu, par bateaux. Ils mouillaient donc au plus profond de ces criques abritées des vents et des houles. Remonter en carioles, lourdement chargés, les quinze kilomètres de chemins fortement abîmés par l'érosion eût été impossible ou trop long. ( Informations, selon J-V Bordenave - Ecole de Surf / Stand Up Paddle du Cap Corse )
Arrivés au terme de la piste, un ensemble imposant de vieux pailliers occupent les lieux, les champs herbeux et ombragés. Nous sommes seuls et le ressentons fortement. Le domaine parle, libère une étrange énergie. Ces masures basses et trapues ont été " restaurées " et sommairement aménagées à l'attention des randonneurs. L'escale est unique, vaut le détour, au terme provisoire d'un long sentier de randonnée.
Le chant des vagues domine, traverse l'épaisse frondaison des oliviers aujourd'hui sauvages. La lumière est intense. En retrait, en contrebas, une roselière circonscrit la zone humide attenante, oblongue. Le grau reste provisoirement ensablé. Quelques ramiers s'envolent, lourdement. Vie secrète, ubiquiste présence !
Plusieurs dizaines de mètres séparent de la mise à l'eau. Le sable étincelle, immaculé, dense. Maints horizons, autant de dimensions évoquent le temps immuable.
Ainsi du cours de la durée dont nous sommes les humbles passagers, s'y inscrit ; que vaille le sursis !
Ainsi, des étendues azurées, dont la Méditerranée Occidentale, infiniment perse ; du ciel abyssal que le Libecciu purifie ; d'un désert minéral et végétal, en amont, tendant vers les quatre points cardinaux en simulant l'ondulation et le flottement d'un mirage ;
Enfin, du domaine de tous les mystères que le maquis recouvre, cèle à perpétuité. Forêt basse et primaire que les soleils mordants des canicules semblent ne plus atteindre, autant d'espèces endémiques qui y vivent et qui résistent aux aléas d'un climat rude, aux écarts de températures extrêmes ...
Avant de rejoindre la noria des vagues, il me faut rassembler au présent tout ce qui alentour oriente à jamais le sens d'une telle échappée, hors saison, sans cliché, afin de participer de l'intense partition d'un jour.
Je découvre depuis la mer un site unique. Les plus hauts sommets ennéigés de l'Île de Corse pointent, dominent le linéament des collines. La dune émerge du dos des vagues lancées vers la côte. Un bois de pins maritimes jouxte les brisants ; contrastes insolites !
Quelques paillers se devinent entre les arbres à la faveur des ocres de la pierre, de la lauze clivable du pays. Dans les lointains, le Cap Corse se dresse comme il retombe, abrupt, accore. Une imposante balafre réveille de tragiques souvenirs, en l'occurence, la vie des damnés de l'amiante. Vers le Nebbiu, la Haute Balagna, les cimes accrochent les nuages et donnent un élan vertigineux aux montagnes, au massif méditerranéen de l'arc alpin.
Une telle diversité de lieu et de vie interpelle. L'émotion capte l'indéfinissable, les ondes latentes des temps anciens, malgré les années, les siècles qui distancent. J'imagine tout ce que la végétation aura ici englouti, caché, recouvert, de vestiges, de traces et d'activités humaines, d'histoires et de légendes à toujours égarées, perdues.
Nous dînons à la nuit tombée, sous un champ d'étoiles. Un Chat - Renard, endémique des lieux, nous rend visite. Nous partageons le fromage. Mais il reste sur ses gardes, craintif. Pelage tigré, dessins annelés, larges oreilles, nous devrons confirmer l'espèce. Puis il disparaît dans l'obscurité ; nous l'avons nommé, pour la circonstance.
Sommeil agité ! Le vent tourne et forcit ; le véhicule roule sous l'effet des bourrasques ... Après minuit, la lune et son croissant roux s'en reviennent des profondeurs du désert. Au petit jour, le ciel se révèle, rougeoyant, dallé, comme une apothéose. Nuages en toupie, - A Seppia, dit-on en langue Corse -, oeuvre magistrale des vents violents d'altitude que les montagnes projettent dans le ciel. Ils sculptent l'impalpable et coiffent les sommets. Les vagues de la veille sont tombées, le vent également.
Il faut repartir, quitter un pan de paradis, l'espace d'un rêve. Le domaine sommeille ; intenses vibrations ! Regarder une dernière fois les palliers, imaginer, non loin et au bord de la mer, leur probable aires de battage que le maquis dense recouvre.
Le groupe culturel Corse, A Filetta, entonne en choeur la mélodie des sources qui ne se capte pas, que l'on ne détourne pas, l'existence au temps des pailliers de l'Ustrigoni
Laissons au plus grand des jardiniers, au numineux de la création parer l'Île bouquetière de ses plus beaux fards et atours
- MARIN -
A la Recherche du Temps Perdu
1 ère Ecriture le 08 Mai 2021
2 ème Ecriture le 09 Mai 2021
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