SOUVENIR ET NEANT ! ...
" Cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant "
Marcel PROUST
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Quatre mots explorent, circonscrivent magistralement les 1500 pages de la Recherche ! Je dirai qu'ils résument le souci constant de la profonde empreinte du temps écoulé comme ils justifient et mènent l'oeuvre de l'auteur, bien plus vastement que nous l'aurions pu imaginer ...
Abyssale pensée d'un génie de la littérature. Phraséologie essentielle, existentielle, intemporelle où tout aura été dit et esquissé du Temps qui file entre les doigts et qui demeure, telle la fluidité des souvenirs.
A la quête des années passées et à venir que le rappel et le néant tour à tour dissolvent et réfugient pourtant entre deux dates majeures. A ce tout qui fut et ne sera peut-être jamais, jamais plus. Quelle manne, quel sublime présent pour l'âme pérégrine ! La probabilité s'invite, impromptue, inattendue, abonde comme le cercle des renaissances perpétuelles... Le souvenir ne serait - il pas palingénésique, cette antidote au néant ? !
Je me suis longtemps interrogé sur le sens quasi hermétique de cette aphorisme du maître à dire et à conter le Temps si souvent, qu'il se fût mis d'emblée à sa Recherche en le recomposant ... Si l'ouvrage fleuve de Marcel Proust dévoile une infinitude de " Madeleines ", convenons que l'oxymore suggéré redonne espoir et rassérène ! En effet, il y aurait bien contradiction, réduction et cheminement inopportuns ! Quant à la moisson de ces révélations qui nous portent au seuil de la philosophie : je la fais mienne, m'y retrouve et la sais éminemment généreuse, apaisante...
Aux souvenirs, à la fois antithétiques et consubstantiels du néant où l'être se définit en présentiel entre dialectique et émotions, sous le lénifiant faisceau des récompenses et des promesses immédiates ! Comme une exploration oscillant et vacillant au gré de l'instant, de la fulgurance, d'une fénêtre onirique depuis laquelle se réinvente une histoire, l'infimité de tout acte témoin tel l' éclaireur du temps qui s'enfuit... Être aux mondes et le rester afin de s'en imprégner jusqu'au grand départ.
L'oubli relèverait - il de la gradualité de l'état et de la condition de néant ? Une certaine forme de refoulement un - conscient, une autre étape sur la voie du néant sont - elles viables ? En est -il l'antichambre à jamais refermée ? Le souvenir et le néant seraient - ils à ce point de rupture résolument antinomiques ? Comment définir le néant si ce n'est un absolu, rien, une réalité sans trace, un possible inexploré, que le ressouvenir pourrait encore remettre au goût du jour, de l'instant révéré, révélé ! Peut - on encore inscrire le néant dans une certaine forme de temporalité inéluctablement passagère et finie ? Si le souvenir est mouvance, interaction, imaginaire et perpétuel retour, le néant dissout, néantit, annule - redondances, platitudes - ! Tendre vers le néant, en état de conscience, est - ce là le propre de la mort à soi lente, apparente ?
Que dire du néant, si ce n'est qu'on l'appréhende du vivant, en conscience, si tant est qu'il se définisse par rapport au tout, à l'unité, l'unicité factuelle, l'unicité de l'instant qui oriente, qui décide d'une vie ? Valeur, profondeur, caractères sensibles des contenus et actes de l'existence qui destinent, définissent incessammement la raison d'être, d'agir, de penser, de communiquer en conséquences et à desseins ...
Un souvenir qui n'est plus ne néantise aucunement. Le souvenir effacé, que l'on ne peut croire à toujours perdu, ne confine guère ou pas encore au néant. A l'instar de la maxime de St - Exupéry, - " L' essentiel est invisible pour les yeux " - la perte momentanée ou totale de la mémoire ne concourt point au naufrage de la souvenance. Le filigrane gravé de la vie, les occasions et les opportunités que le présent réveille y pourvoient à travers une foule de rappels fortuits, aventureux, connexes qui attisent autant de silences ressucités... Revenir à la source ! Traces, empreintes mnésiques ; magie insoupçonnée de l'esprit que rien d'autre ne saurait enchâsser que l'accomplissement irrévocable du néant, après la mort !
Comment dès lors en opposer les horizons, les échos ; le sujet qui sert sans ambage la prévalence du néant, fausse la poésie de la Voie. Il est en nous gravé tout ce qui fut et détermine l'après, l'ailleurs, le moment présent, les présents de la destinée.
Remembrance, revisitation, du vivant, certes ! De la mort on ne revient jamais. Des souvenirs enfouis, oui, sans qu'il n'y paraisse, à la fontaine des sens qui abreuvent, de la fulgurance de l'indice, du dernier cairn ... Il n'y a donc plus contradiction mais continuation, certainement, poursuite de la Recherche à travers une autre, voire maintes dimensions spatio - temporelles où se croisent et se rencontrent les corridors du " temps des secrets ", aux souvenirs.
Guises de perpétuité intentionnelles ; le néant joue à se cacher, veille, sait attendre, ravive et rescussite le ressouvenir sur le fil ténu de l'oubliance ; immarcescible jeunesse
!
- MARIN -
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" APHORISMES "
Le 21 Avril 2023
Revu et corrigé le 27 Avril 2023