IL Y A 56 ANS !...
A l'instar de la dense suberaie, aux ramures inextricables plongeant dans l'azur, comme les souvenirs affluent vers l'océan immaculé de la mémoire, voici ce que nous découvrions, arrivant sur site, il y a près de 56 ans. Des lieux de délices que le zéphyr berçait et tempérait à souhait, se moquant éperdument du réchauffement qui pourtant était déjà : " EN MARCHE "
!
C'est en l'an 1963 que nous foulions enfants et, pour la toute première fois, la Terre de Corse. Le petit paquebot, - première édition de la série -, baptisé Fred Scamaroni, en mémoire au grand Résistant de la guerre, accostait au port de Propriano, en Corse du Sud, après une nuit en mer agitée, houleuse. Roulis et tangage nous avaient comblés, éveillant à l'envi un panel de jeux et d'espiègleries tardives bien de nos âges.
Une île surgissait de la brume, dans la fraîcheur d'un matin vernal ; apparition rayonnante, parfumée à souhait, si haute, coiffée de nuages. Juin irradiait de clartés et de profondeurs se révélant au diapason des vallées encaissées d'un territoire mystérieux, fascinant. La vie, hors des villages côtiers et de montagne, ne nous semblait plus possible, redoutable.
Très sensibles aux choses de la nature, aux ciels, aux paysages marins, à la campagne, un tout nous parlait ; incessantes invitations aux voyages, à la découverte ! Étant nés tous les trois au bord de l'Océan, au Maroc, le dépaysement s'étiolait au fil d'une rencontre emplie de promesses. D'un tempérament curieux et observateurs, nous apprécions ensemble les somptueux paysages que la Corse offrait aux visiteurs, sachant que là était et demeurait une grande fresque de nos racines, nos racines paternelles, des racines comme enrochées, à l'épreuve de la durée qui nous circonscrit.
Comme beaucoup d'insulaires, l'entre-deux guerre vit nos grands parents s'expatrier, rejoindre " les colonies ", abandonnant souvent des pans entiers de patrimoine et tant de liens précieux.
Une semaine très vite passa. Nous découvrîmes le village de nos origines et, surtout, la maison de nos ancêtres, délabrées osant d'emblée des projets insensés.
Et nous repartîmes autour des mondes, relâchant au gré des mutations d'un père diplomate, plus enclin à renouveler et à diversifier ses affectations que de se décider à " rentrer au pays ". Ce qui nous aurait indéniablement assurés des bienfaits de la stabilité, de l'adaptation lente et complète qu'un enfant peut attendre pour prospérer à son rythme, tout en usant des biens familiaux et de solides et durables acquis.
Voilà brossé, succinctement, les conditions dans lesquelles nous apprîmes à aimer cette Terre de Corse. Une Île que nous nous appropriâmes aussitôt, ne souhaitant désormais plus que revenir aussi souvent que cela fût possible. N'étions-nous pas en Terre familière, déjà connue, étrangement attachés, aimants ?
Vint une longue période de césure et de manque. L'absence, puis l'oubli, avant que je revins, un beau jour de l'été 1970, en famille, décidés à profiter de ces rivages, de la mer, d'une vie quasi sauvage que le camping autorisait à l'époque ; nous étions au mois de Juillet, entre cousins, cousines, véhiculés dans un vieux Combi WV 1600 cc, un véhicule de légende, parfaitement aménagé pour le raid-aventure et le tout terrain de l'époque !
Chaque jour ouvrait mille fenêtres sur un autre monde, une version des îles inédite, des ciels rares que nous reconnaissions pourtant dès les premières lueurs du jour, si crues, si belles et chatoyantes, accentuant sans fin le dessin des cimes et des massifs qui nous paraissaient tellement hauts, tout proches.
Les brises marines estivales étaient fraîches, soutenues, égrénaient délicieusement les heures ; à l'ombre de la toile de tente, après le bain, tout en dévorant un repas de crudités locales et une bonne croûte de " brignolet ".
Nous avions froid, à midi, au zénith du soleil, après de longues heures passées dans l'eau ! Juillet pourtant ne déméritait pas quant à ses chaleurs de saison, toutes relatives quand on les compare aux extrêmes actuels moyens et aux pics tant redoutés !
Le soir venu, en bord de la mer, alors que le fracas des vagues et le souffle du mistral persistaient, brassaient inlassablement la haute dune de sable, durant des jours et des nuits, nous revêtions une laine et un pantalon chaud. Une voûte céleste féerique s'illuminait. Un enchantement !
Ainsi les journées s'écoulaient dans les langueurs tardée des nuits d'été, au bord de la Grande Bleue apaisée, sous le fin croissant de lune parfaitement esquissé augurant de délicieux moments de liberté, bercés par les brises, au fond des golfes.
Aujourd'hui, rien de tout cela subsiste ou, si peu ! Certes, nous demeurons bien sur la même Île mais tant de choses ont changé, ont été bouleversées ; point de non retour attristant !
Et je veux et tiens à évoquer justement le climat, la saison estivale, ce que nous ressontons et observons d'écart aux souvenirs merveilleux qui remontent à près de 50 ans, déjà ! Plus rien n'est pareil. Les ciels sont devenus fades, délavés, figés, opaques et denses dans leur turbidité...
Les chaleurs s'installent et durent trop longtemps, dans la moiteur inquiétante des airs pollués et des vapeurs de jets en tous genres. Quant aux vents, l'été, ils ont quasiment disparus ! Rares sont les épisodes de Mistral qui dépassent la journée ou qui se prolongent sur 3 / 6 / 9 jours, selon le solide adage.
Cette année 1970, nous connûmes 9 jours de Mistral, consécutifs, des vents qui ont eu raison de l'armature de la grande tente familiale solidement structurée, agencée et montée...
Que je puisse relater et témoigner d'un temps que l'on semble ignorer, avoir comme effacé de la mémoire ! Une époque où les saisons étaient si marquées, si ponctuelles que dès le 15 Août, la Corse connaissait un épisode de pluies et de vents forts qui préfiguraient le changement de saisons. Le froid et les brouillards gaganient la moyenne montagne, l'herbe reverdissait, et, aux lendemains de ces providentielles semonces, l'île se réveillait dans une transparence des ciels qui ne laissait personne indifférent.
Et la mer aussi changeait de teintes, virait aux pastels doux et soyeux. Il soufflait comme un zéphyr, très modérément. Ses vastes champs s'esseulaient et voyaient partir pour un an les faiseurs de souvenirs innoubliables qui promettaient de revenir bientôt, rêver une autre vie, d'autres histoires sans fin, à recommencer, à imaginer.
Combien je regrette ces jours, ces semaines et ces mois d'été, non pour ce qu'ils engrangent et cumulent d'années passées, qui ne reviendront jamais plus. Certes Non ! mais de ce merveilleux faisceau de récompenses et de surprises que la Nature en beautés, encore intouchée, maintenait comme incandescent, évanescent, éblouissant, à la grâce duquel l'existence prenait la voie des choses vraies, essentielles que nous protégions déjà comme la prunelle de nos yeux de futurs adultes. N'oublions jamais les joyaux d'une Terre que la cupidité finira par vaincre, en commençant par ces pans entiers de littoraux annexés et bouleversés
!
- MARIN -
Souvenirs d'Enfance
Revu et corrigé le 23.06.19