EPHRAÏM MICKHAËL ...!
In Corsica Tandu
L’ÎLE HEUREUSE
Dans le golfe aux jardins ombreux,
Des couples blonds d’amants heureux
Ont fleuri les mâts langoureux
De ta galère,
Et, caressé du doux été,
Notre beau navire enchanté
Vers les pays de volupté
Fend l’onde claire !
Viens, nous sommes les souverains
Des lumineux déserts marins,
Sur les flots ravis et sereins
Berçons nos rêves !
Tes pâles mains ont le pouvoir
D’embaumer au loin l’air du soir,
Et dans tes yeux je crois revoir
Le ciel des grèves !
Mais là-bas, là-bas, au soleil,
Surgit le cher pays vermeil
D’où s’élève un chant de réveil
Et d’allégresse ;
C’est l’île heureuse aux cieux légers
Où, parmi les lys étrangers,
Je dormirai dans les vergers,
Sous ta caresse.
.
Comme un bruit très lointain des cloches et des vagues
J’entends dans mon Esprit chanter des rhythmes vagues ;
Je rêve des sonnets divinement sculptés
Et des strophes dansant, langoureuses almées,
Un pas lascif, et des vers pleins de voluptés,
Des vers câlins, ayant le son de voix aimées.
J’aime ces sons lointains, ces poèmes rêvés,
Et je voudrais finir ces vers inachevés
Qui fantastiquement passent dans mes pensées,
Et pendant de longs jours j’écoute avidement
Les rhythmes inconnus des strophes commencées
Chanter en moi, comme un bizarre bercement.
Je cherche. Et la Beauté vague, aux formes troublantes
Que je vêts du manteau des rimes rutilantes,
Perd sa divinité subtile entre mes mains :
Mes vers ne valent pas les vers rêvés : l’idée,
Lorsque je l’ai saisie entre mes bras humains,
N’a plus son charme amer de vierge impossédée.
***
Je sens ainsi toujours, idéaux ou charnels,
Vivre au fond de mon cœur les désirs éternels,
Et chacun d’eux, désir d’amant, désir d’artiste,
Pourra s’éteindre ainsi que les soleils pâlis
Mais je n’endormirai jamais mon âme triste
Dans la sérénité des rêves accomplis.
Nul poème achevé, nulle douce amoureuse
Ne remplira jamais de somnolence heureuse
Mon cœur que rien n’apaise et que rien n’assouvit.
Car après tous mes vers et toutes mes étreintes,
Indicible et profond, dans mon Âme survit
Le Regret des Désirs morts et des Soifs éteintes.
Juillet 1884.
Ephraïm MICKHAËL
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