ICEBERG - POÉSIE D'AUTEUR ...
A l'heure où la Banquise et l'Antartique donnent des signes terrifiants de fonte des glaces et de fracture profonde, d'amenuisement rapide et parfois brutal des épaisseurs fossiles gelées,
un poème que je trouve très beau, aux seuils iridescents de la pureté originelle, de la mémoire des sens, de quelques retrouvailles.
L'eau dans tous ses états de lumière, de figement, de transparence, tant d'irréelles créations... L'imaginaire en lequel nous nous reconnaissons depuis les plus lointaines " échappées " qui nous habitent et que nous allons inlassablement chercher au coeur des flots !
L'univers de la mer est incommensurable ; en chaque goutte d'eau qu'elle assemble, ne figure-t-elle pas les horizons imperceptibles, indicibles des Univers vers lesquels nous nous égarons en passant.
Magie, Alchimie de l'atome et de leurs noces, matières que l'on prétend inanimées !... Mais de l'air, des vents, de l'eau, des variations de la température et de la lumière, la latitude compose et révèle les symphonie chatoyantes de nos songes : ne trouvez-vous pas ?
Pourquoi et comment détruire, laisser pernicieusement s'insinuer tout autour de nous la fin programmée du grand théâtre de la Nature, les actes et les scènes de la diverse et irréfragable réalité ?
ICEBERGS
Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture, où de vieux cormorans abattus et les âmes des matelots morts récemment viennent s'accouder aux nuits enchantereses de l'hyperboréal.
Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver éternel, enrobés dans la calotte glacière de la planète Terre.
Combien hauts, combien purs sont tes bords enfantés par le froid.
Icebergs, Icebergs, dos du Nord-Atlantique, augustes Bouddhas gelés sur des mers incontemplées, Phares scintillants de la Mort sans issue, le cri éperdu du silence dure des siècles.
Icebergs, Icebergs, Solitaires sans besoin, des pays bouchés, distants, et libres de vermine. Parents des îles, parents des sources, comme je vous vois, comme vous m'êtes familiers ...
Henri MICHAUX
" Icebergs - La nuit remue - Ed. Gallimard, 1935.