"COUREUR DES OCEANS "...
" ... Pour moi, la mer est une vaste étendue ludique, l'un des derniers grands espaces de liberté que l'homme puisse avoir. C'est un environnement qui à son propre rythme, sa propre musique, ses propres couleurs.
L'océan est impossible à apprivoiser.
Je dois accepter de composer avec ... "
Michel DESJOYEAUX
28 000 Milles autour du Monde
Un livre remarquable, celui d'un homme de la mer aux choix clairs et déterminés. Un Livre qui tutoie le récit, avec de chaleureux retours dans le passé, son enfance et
surtout ces témoignages d'amitiés propres aux vrais gents de mer, aux marins. C'est un plaisir, une source aussi d'informations que de parcourir ces pages, concises et
précises qui vous mettent dans le bain de la course tout autant que celles des préparatifs minutieux, du grand départ et surtout de la Course aux large. Le Vendée Globe
Challenge, une Compétition hors Norme, où le terrain d'aventure est la Planète entière. Quelques " gardes fous " pour éviter le pire ces fameuses portes ou lignes géographiques à couper dans l'Indien et le Pacifique! le reste est du ressort, de la compétence, de la volonté à toute épreuve de ces Marins hors du Commun qui voient leurs rêves aboutir. Obstination, persévérance, fidélité au monde silencieux de la mer font et forgent ces tempéraments de gagneurs. Ils ont opté pour la Voile moderne et les défis d'un progrès maîtrisé. Ils les assument, même aux confins de " l'emmerdement maximum " quand un détail vient souiller le quotidien d'une course, d'une grande épreuve avec soi-même. J'aime beaucoup son livre, j'apprécie l'humilité quand elle se fraie un chemin au milieu des déferlantes, au fond de 100
jours de mer et de tant d'aléas, de ces fortunes imprévisibles .
Tout au long du livre, le lecteur est tenu en haleine, aussi bien dans les notes d'humour du journal de bord, les messages à l'équipe, qu'à travers le ressouvenir solitaire
des longues bordées, des chevauchées sur les vagues d'un bateau effréné, qui ne peut se conduire et se manier qu'au planning surf, à des vitesses hallucinantes pour un monocoque .
Haletante course poursuite aussi avec des concurrents " sévères , sérieux " de vrais marins, des amis souvent, venus pour gagner. Mais pas à n'importe quel prix! En effet, cette édition 2008 a été rude et sélective à tous les niveaux de la compétition et du défi humain, technologique. Bien des épisodes, des pensées aussi nous émeuvent et nous montrent le chemin de la fraternité, je dirais volontiers d'une forme d'amour que ces hommes éprouvent, craignant les growlers, le container à la mer, le Cétacé et doublant les Caps mythiques. On coudoie aussi leur cœur, leur intimité; Michel Desjoyeaux nous révèlent les attentions de ses tout proche que son quotidien lui octroie, la décoration sommaire de son intérieur mais ô combien précieuse pour lui.
J'admire le marin, livré à lui même à travers l'expression la plus dépouillée de la liberté - un bateau et le monde à parcourir - nous donnant par là une fantastique
démonstration des ressources humaines dès lors qu' il devient possible de les canaliser vers sa propre légende. Une légende à partager, comme une traversée sur le grand voilier de la vie. Un témoignage, dont il récuse la parenté avec l'aventure et pour cause! Une invite peut-être à parcourir la mer, elle qui sait offrir à tant de marins une myriade de mirages, à chaque retour la vérité tracée de la traversée, d'une course où rien n'a été laissé au hard, de la victoire.
" ... L'écume déferle, des murs d'eau se succèdent, le vent hurle, la température est pénible. Il n'y a pas moyen de se reposer une minute. A peine ferme-t-on les yeux un instant que le bateau réclame des soins, un léger changement de cap ou un peu moins de toile. Tout le monde lève le pied. Parfois, une succession de vagues de 10 mètres ou plus vient me faire valser.
C'est le maximum, je n'ai jamais encore vu une rage pareille. Je suis dans l'action, je n'ai pas peur, j'écoute le bateau. Ma vigilance est totale, intense. Je ne m'imagine pas en perdition. Les vagues sont poussées par le vent, qui parcourt ici des distances énormes. La mer prend son élan. Et cogne. J'évalue constamment l'angle et la configuration des voiles. Avec ma petite télécommande au poignet, qui regroupe certaines fonction de contrôle du pilote automatique, j'ajuste au plus fin. Le pilote automatique gère le cap, assez correctement. Alors, plutôt que de passer du temps la barre, j'optimise le travail de ce robot en modifiant très souvent la consigne de cap, degré par degré. C'est à ce prix qu'on peut cravacher autant.
Les dépressions se succèdent. Une nouvelle perturbation venue de Nouvelle-Zélande nous attend. Le secret, c'est de ne jamais, jamais, subir. Le bateau doit être actif, tout le temps. La survie est à ce prix. Si on lève le pied pour ménager la monture, on prend des risques, me semble-t-il. Il faut rester dynamique. Par moment on a l'envie de se poser. Mais, dans ces mers-ci, pas question. On est concassé tout le temps. J'ai beau dire au bateau : " arrête de bouger! J'en ai marre ! " , il ne m'écoute pas.
J'en arrive à regretter le Pot au Noir..."
Michel Desjoyeaux
Coureur des Océans
Pages 147/148
Ed : Le Grand Livre du Mois