LE TOURNANT DU GRAND SUD / UNE AUTRE VISION...
Je m'attarde un long moment vers le Tournant de l'Extrême-Sud de l'Île de Corse. L'air est transparent. Les rivages,
les îles lointaines, les îlots diséminés en petits archipels se détachent parfaitement sur l'horizon azuréen ; d'Ouest en Est : le dédale, le
labyrinthe redouté des Bouches de Bunifazziu, à perte de vue, se livre : écueils, brisants, rochers, anses découpées ... Vers le Nord,
mille sentinelles de granit, d'anciennes bâtisses effondrées se vêtent de parures ocres et orangées à la faveur du soleil vespéral. Au Sud : les
côtes de Sardaigne se perdent au gré de longues écharpes de brumes littorales que l'aube ou la vesprée dispersent. La brise de mer légère et fraîche
octroie à ce gigantesque cirque naturel, à ce calice minéral les clartés du grand large. Pas une construction écorche le regard, blesse la pensée, souille un rêve, l'instant de l'éveil !...
La mer et la terre parsemées de collines se meuvent, étincelantes, simulent une floraison d'étoiles. A ces champs que
l'on attend fébrilement à l'heure du renouveau. Cantique à la vie. En ces lieux de passages, d'errance ou de confrontations malgré soi à l'intemporel, renouer avec la paix et la sérénité, recouvrer quelques raisons d'être qui auraient été épargnées par
le cours d'un temps vaincu. Hasard commué si promptement en durée parjure. Epoque travestie. Ere incontrôlable et intransigeante. La terre
aurait été ici délaissée, abandonnée à la solitude, vierge et sauvage.
Franges authentiques où charmes et rudesses se côtoient. Au-delà du langage qui les eût accommodés aux vues conquérantes de la raison.
L'immensurable labeur de nos anciens n'est plus ; mais sitôt rejoints le maquis, les bois littoraux, les coteaux,
surgissent çà et là les vestiges d'un passé qui l'honora des siècles durant !
Le Tournant de l'Extrême-Sud ! L'envergure d'une sibylline allégorie, comme si nous avions d'un seul trait tourné la page, passant
d'une dimension à l'autre, tellement plus poétique et sereine, prodigue de moissons . Césure, fracture, choc des mondes !
L'inclination aisée à l'oubli, les affres du gigantisme et du béton tentaculaires justifient dès lors le refuge vers de solennelles et
antiques attaches, de tutélaires invocations, sortes de réminiscences oniriques où brilleraient de mille feux ces paradigmes ancrés au plus profond de
l'âme et que toute personne poursuivrait malgré elle, protégerait et vénèrerait parce qu'ils sont enclaves, bastions indestructibles de l'être individuel et collectif
que nous sommes, jamais coupés des liens et de nos racines insulaires...
Il règne en ces lieux d'harmonies et de liberté une part d'imaginaire, de rébellion. L'expression du tumulte des flots, des tempêtes plane, certes, mais également d'ineffables
compositions que l'homme ne saurait entrevoir, fût-il au plus haut niveau de sophistication et de technologie mis à sa disposition tendant vers l'ordre surfait de la raison raisonnante à l'excès !
On y pressent
l'oeuvre du Tout et de l'infime, l'inconcevable, décliné ici-bas comme par enchantement et magie ... La partie, l'élément servant la symphonie accomplie d'un
sidéral décor, l'entité vouée à l'infinité qui la fonde. Et de cette complétude silencieuse, inégalée, s'émerveiller de l'ample renaissance, du retour des choses, des heureuses et surprenantes métamorphoses.
Ces étendues parcourues de sources, de vergers sauvages, de dunes et de lagunes accueillant la migration des oiseaux à la période des amours
ravissent, enivrent, subjuguent la pensée. Un Éden que le citadin aurait perdu en suivant chimères et artifices.
Impatient d'en retrouver les pans dès lors que la contrainte le libère de la contingence.
Ils sont des milliers, qui s'arrêtent en chemin et contemplent, émus, l'indicible, la beauté, les splendeurs de la mer et de la terre. Saines visions
inhabituelles et remarquables. Je partage cet émoi sans limite et bien qu'il me soit donné de passer si souvent entre
ces deux mondes, je n'ai de cesse de m'extasier. L'attente et la foi que ce spectacle génèrent en moi me troublent. Invitation à la rêverie, au voyage, pèlerinage ! Elan irrépressible de gagner le large et la tempête qui éclaireraient l'envers des mots reclus, d'autres mondes qui les eussent plus profondément reconnus et compris,
largement embrassés et accueillis. Je perçois comme une sorte de révélation de l'au-delà. Découvrir, aimer dès le
premier regard révèle et clame ce qui est vrai, au-delà des sens, à l'orée de l'essence...
Si vous voyagez en ces lieux, arrêtez-vous un moment, au soleil levant, au couchant, au
zénith du soleil ou de la lune, sous un mince croissant de lune, les jours de tempêtes ou de brumes et de calme. Écouter le silence des
vallées qui se complait dans la mer euphonique, réceptrice aux harmoniques vénérables de la montagne.
Indignez-vous toutes les fois que la machine éventre, balafre la terre pour quelques balcons vulgairement jetés sur l'azur... De Bunifazziu
et de son Détroit aux abrupts de Capu di Muru, l'Île de Corse aura encore préservé quelques franges littorales où les Travailleurs de la
Mer s'attèlent aux beautés cachées, à la vérité éternelle que tout un chacun porte en lui comme un précieux trésor,
une allégeance au pacte, au serment de la vie, à l'émotion... La Terre et ses joyaux ne se bradent pas ! La tutelle de la monnaie, la confiscation de cet espace temps, ces îles livrées aux plus offrants auront vécu et passé, envers et contre tout mais relèvent désormais de la forfaiture et de l'exaction mais que la déraison.
On ne vend pas l'Un - périssable patrimoine, on le sauve des serres cupides.
Je me retrouve en chacune des empreintes du temps qui me portent, en ces harmonies qui m'eurent à jamais ouvert les portes du ciel. Je divorce des images d'un éphèmère brutal qui ne trompe et ne fustige que l'infidèle et résolu de l'être à l'encontre de la Terre ...
GO D'OTA
1 ère Ecriture le 17.04.2013
2 ème Ecriture le 18.04.2013
3 ème Ecriture le 07 Juillet 2021