PASSAGER ! ...
Dehors, nous dirons à l'extérieur de la large baie, le vent fait rage ; les îlôts sont submergés. D'épais nuages d'écume et d'embruns en recouvrent les reliefs tourmentés, acérés, aux silhouettes affolées. Tout se passe dans un silence ouaté, insondable, incommensurable ; immersion au règne des blanches clartés, de la nuit solennelle, tellement obscure. Point d'étoiles. Le soleil ne filtre pas. L'épais manteau de nuages glisse au diapason des plus grosses vagues élongeant les pointes diluviées. Elles se prennent à en simuler les volutes et les délires. Le vent cingle, l'onglée n'est plus loin et bat comme un coeur aux doigts de l'âme épuisée. C'est l'hiver, avec ses vents de Borée, dévalant des Balkans vers l'Adriatique, qui gagnent l'ancienne mer de Toscane en caressant le visage oriental de l'Île.
Il me vient à l'esprit ces vieux portulans disséminant sur un parchemin jauni, quelques dangers de façon tellement aléatoire et que les marins exploitaient, au seul prix d'indices déjà éprouvés ! Mise téméraire...
La mer est sans âge, ses tempêtes et ses furies esquissent un univers de métamorphoses incessantes, inextinguibles et à la fois fugaces ! Joyaux de l'éphémère tout à la fois éternel où l'esprit se passe de raison et cavalcade au gré des saisons, remonte les versants des siècles passés, là même où il y a des millénaires mythes et légendes s'en remettaient au Grand Bleu et à l'ivresse de l'inconnu, aux oracles, aux dieux implacables.
Et nous sommes toujours là, passagers de la lumière et des trains de vagues qui vont et qui viennent, lancinants, impavides, fascinants et beaux comme destructeurs et sauvages. Tour à tour, rivages et terres montueuses ont revêtu les atours des tours et des fortins, des défenses juchées au coeur de la pierre et au seuil des abrupts ...
Ce jour-là, les vagues étaient très longues, si espacées et si hautes qu'elle scandaient le temps qui flue et s'écoule, celui des origines où où n'étions que lointain projet de l'Univers. Et de là, pour cela, nous nous disions qu'il ne déméritait point d'être un seul instant cette touche, un accord, une note de la grande fresque, de la grande symphonie des mondes que les éléments ouvragent sous nos yeux sans jamais faillir aux desseins du Tout.
MARIN