VENT DE MER, avec GUY de MAUPASSANT...
Fantastique Testarella - Side Off Shore - Tempête du 2 -01-2007 / NW
C'est en Marin que Maupassant parle si finement du vent. Superbe évocation, description du vent et de la mer prompts à se lever...
On ne peut faire l'impasse sur le Vent qui anime si souvent nos jours et berce nos nuits languissantes!
Quel personnage, le vent, pour les marins! On en parle comme d'un homme, d'un souverain tout puissant, tantôt terrible tantôt bienveillant. C'est de lui qu'on s'entretient le plus, le long des jours c'est à lui qu'on pense sans cesse, le long des jours et des nuits. Vous ne le connaissez point, gens de la terre!
Nous autres, nous le connaissons plus que notre père ou que notre mère, cet invisible, ce terrible, ce capricieux, ce sournois, ce traître, ce féroce. Nous l'aimons et nous le redoutons, nous savons ses malices et ses colères que les signes du ciel et de la mer nous apprennent lentement à prévoir. Il nous force à songer à lui à toute minute, à toute seconde, car la lutte entre lui et nous ne s'interrompt jamais. Tout notre être est en éveil pour cette bataille: l'oeil qui cherche à surprendre d'insaisissables apparences, la peau qui reçoit sa caresse ou son choc, l'esprit qui reconnaît son humeur, prévoit ses surprises, juge s'il est calme ou fantasque. Aucun ennemi, aucune femme ne nous donne autant que lui la sensation du combat, ne nous force à tant de prévoyance, car il est le maître de la mer, celui qu'on peut éviter, utiliser ou fuir, mais qu'on ne dompte jamais. Et dans l'âme du marin règne, comme chez les croyants, l'idée d'un Dieu irascible et formidable, la crainte mystérieuse, religieuse, infinie du vent, et le respect de sa puissance.
_ Le voilà, Monsieur, me dit Bernard.
Là-bas, tout là-bas, au bout de l'horizon, une ligne d'un bleu noir s'allonge sur l'eau. Ce n'est rien, une nuance, une ombre imperceptible, c'est lui. Maintenant nous l'attendons, immobiles, sous la chaleur du soleil.
Je regarde l'heure : huit heures, et je dis :
_ Bigre, il est tôt, pour le vent d'ouest.
_ Il soufflera dur, après-midi, répond Bernard.
Je lève les yeux sur la voile plate, molle, morte. Son triangle éclatant semble monter jusqu'au ciel, car nous avons hissé sur la misaine la grande flèche de beau temps dont la vergue dépasse de deux mètres le sommet du mât. Plus un mouvement; on se croirait sur la terre. Le baromètre baisse toujours. Cependant, la ligne sombre aperçue au loin s'approche. L'éclat métallique de l'eau, terni soudain, se transforme en une teinte ardoisée. Le ciel est pur, sans nuage.
Tout à coup autour de nous, sur la mer aussi nette qu'une plaque d'acier, glissent, de place en place, rapides, effacés aussitôt qu'apparus, des frissons presque imperceptibles, comme si on eût jeté dedans mille pincées de sable menu. La voile frémit, mais à peine, puis le gui, lentement, se déplace vers tribord. Un souffle maintenant me caresse la figure et les frémissements de l'eau se multiplient autour de nous comme s'il tombait une pluie continue de sable. Le cotre déjà recommence à marcher. Il glisse, tout droit, et un léger clapot s'éveille le long des flancs. La barre se raidit dans ma main, la longue barre de cuivre qui semble sous le soleil une tige de feu, et la brise, de seconde en seconde, augmente. Il va falloir louvoyer; mais qu'importe, le bateau monte bien au vent, et le vent nous mènera, s'il ne faiblit pas, de bordée en bordée, à Saint Raphaël à la nuit tombante.
Nous approchons de l'escadre dont les six cuirassés et les deux avisos tournent lentement sur leurs angles, présentant leur proue à l'ouest. Puis nous virons de bord pour le large, pour passer les Formigues que signale une tour, au milieu du golfe.
Le vent fraîchit de plus en plus avec une surprenante rapidité et la vague se lève courte et pressée. Le yacht s'incline, portant toute sa toile, et court, suivi toujours du youyou dont l'amarre est tendue et qui va, le nez en l'air, le cul dans l'eau, entre deux bourrelets d'écume.
Guy de MAUPASSANT
( sur l'eau )